Enquêter sur le bois illégal - Le Guide

Le guide Enquêter sur le bois illégal fournit des instructions claires sur la façon dont n’importe qui peut jouer un rôle dans les enquêtes sur les chaînes d’approvisionnement du bois illégal. Il comprend des conseils détaillés sur les sources d’informations et outils qui peuvent être utilisés pour savoir si le bois est récolté, échangé ou vendu de façon illégale sur des marchés sensibles.

Le guide est disponible en Anglais, Français, Espagnol et Indonésien. Il peut être téléchargé et imprimé comme fichier pdf illustré ou lu directement sur le site Internet.

1. Introduction

L’exploitation illégale et endémique du bois a un effet dévastateur sur la faune, la population et le climat de la planète. Les gouvernements des pays affectés par l’exploitation illégale et le commerce qui y est associé perdent des milliards de dollars de revenus, tandis que les communautés locales et autochtones qui dépendent des forêts pour leur survie perdent leurs terres et leurs moyens de subsistance. L’exploitation illégale des forêts affaiblit l’État de droit, encourage la corruption et, dans certains cas, contribue même aux conflits armés.

De l’Amazonie à l’Asie du Sud-Est, une grande partie du bois et des produits du bois produite illégalement se retrouve sur les marchés lucratifs d’Europe et des États-Unis. En réponse à cette crise et pour ne pas s’en faire complice, l’Union européenne (UE) et le gouvernement des Etats-Unis ont promulgué des lois qui interdisent la vente de bois illégal. Bien qu’elles aient eu un certain impact, jusqu’à présent ces lois n’ont pas réussi à juguler les importations de bois de source illégale. On estime que les États-Unis continuent d’importer du bois de source illégale pour une valeur de 3 milliard de dollars américains par an, tandis qu’une étude officielle récente du RBUE[i],  concluait que sa mise en œuvre avait été insuffisante.[ii]

Le manque d’efficacité de ces lois tient au fait que malgré l’abondance d’informations sur l’exploitation illégale des forêts dans les pays exportateurs, des preuves insuffisantes remontent vers les organismes chargés de faire appliquer ces lois en Europe et aux États-Unis. Ce guide a pour objectif d’aider à combler ces lacunes.

Ce guide est destiné à aider la société civile à identifier le bois illégal qui entre sur les marchés européen et américain et à fournir les preuves nécessaires aux autorités compétentes. En puisant dans les études de cas réalisées dans le monde entier, le guide présente un résumé des derniers outils, méthodes et technologies disponibles pour réaliser des enquêtes indépendantes sur la légalité de l’exploitation, de la commercialisation et de l’exportation du bois, et pour identifier le bois de source illégale le long de la chaîne d’approvisionnement jusqu’aux marchés finaux.

Ce guide cherche à aider les individus et les groupes participant déjà à ce type de recherche, mais il veut également inspirer et donner les moyens d’agir à d’autres qui voudraient les rejoindre. En aidant davantage de personnes à faire la lumière sur des cas d’exploitation illégale et de commerce associé, le guide a pour but d’améliorer l’application des lois en la matière tout en réduisant l’exploitation illégale et tout le mal dévastateur qu’elle cause aux populations et à l’environnement.

Pour qui est ce guide?

Ce guide est destiné principalement à la société civile, et notamment aux organisations non gouvernementales (ONG), aux communautés locales et aux groupes de jeunes, ainsi qu’aux activistes individuels. Il devrait aussi intéresser les journalistes d’investigation. Vous pourriez être une communauté locale qui veut savoir qui exploite vos terres et si ceux qui l’exploitent le font dans la légalité. Vous êtes peut-être une ONG locale ou un activiste individuel qui veut vérifier s’il est légal d’abattre la forêt pour créer une plantation de palmiers à huile et identifier la destination du bois. Vous pourriez être un journaliste d’investigation d’un pays de l’UE voulant faire un reportage sur le bois illégal utilisé dans la fabrication des meubles de jardin.

Les informations disponibles dans ce guide concernent non seulement tous les pays où des infractions sont commises dans l’abattage ou le défrichement des forêts et le commerce de bois associé, mais aussi tous les pays qui importent du bois de ces pays. Bien que le guide mette particulièrement l’accent sur les cas où des liens avec l’UE et les États-Unis existent dans la chaîne d’approvisionnement, la plupart des méthodes qu’il décrit sont applicables aux cas où le bois est destiné à d’autres pays ou consommé localement. Il ne porte pas non plus exclusivement sur les cas où il y a production de bois. En effet, bien que la majorité du guide concerne la production de bois, la plupart des outils et méthodes sont tout aussi appropriés pour les investigations portant sur les infractions en matière de défrichement (pour les plantations commerciales par exemple) où aucune production de bois n’a lieu.

Les gouvernements et sociétés peuvent également trouver utiles les informations que contient ce guide. Les organismes chargés de faire appliquer la loi peuvent l’utiliser pour leurs propres recherches ou pour mieux comprendre les informations fournies par les ONG, tandis que certaines méthodes pourraient être utiles aux acheteurs de produits du bois quand ils vérifient la légalité du bois qu’ils achètent. Les informations contextuelles peuvent être utiles aux deux pour mieux comprendre comment fonctionne l’illégalité dans ce secteur complexe.

Comment ce guide devrait-il être utilisé?

Toutes les informations contenues dans ce guide ne seront pas nécessairement pertinentes dans tous les cas ou pour tous les lecteurs. Les lecteurs devraient utiliser ce guide comme une ressource et assimiler seulement les parties qui sont les plus pertinentes pour eux, en revenant vers lui de façon intermittente au fil de leurs recherches. Le guide est divisé en trois chapitres, couvrant les sujets suivants:

Sections 1-3 présenter les lois qui ont été promulguées dans l’UE et aux États-Unis en réponse à l’épidémie d’exploitation illégale à l’échelle planétaire et examine la façon dont les informations de la société civile peuvent soutenir la mise en œuvre de ses lois.

Sections 4-10 explique le fonctionnement de l’illégalité dans le secteur, de la forêt jusqu’au marché, et fournit des conseils détaillés sur la façon dont les individus et les organisations peuvent enquêter sur l’illégalité aux diverses étapes de la chaîne d’approvisionnement.

Sections 11-13 souligne comment les informations obtenues durant les enquêtes peuvent être utilisées pour appuyer la mise en œuvre de la loi, améliorer les politiques et fermer le marché au bois illégal.

Le guide est publié avec un site Internet associé qui contient des ressources supplémentaires. Le site sera mis à jour régulièrement avec de nouvelles informations, notamment sur les changements dans les lois et les développements technologiques, ainsi qu’avec des nouvelles études de cas. Le site Internet contient aussi les coordonnées récentes des autorités concernées dans l’UE et aux États-Unis.

L’éditeur de ce guide, Earthsight, cherche également à développer des partenariats avec des ONG engagées dans des recherches en la matière. Earthsight peut fournir bénévolement son assistance pour aider les organisations et les individus à monter, soumettre et publier des dossiers sur le commerce illégal de bois. L’assistance que peut fournir l’organisation peut aller du soutien pour l’obtention ou l’analyse d’informations particulières (comme interroger une base de données sur les registres de marchandises) à des recherches approfondies menées conjointement, y compris des recherches sur le terrain.

[i] Lawson, S. 2015. The Lacey Act’s Effectiveness in Reducing Illegal Wood Imports. Union of Concerned Scientists, http://www.ucsusa.org/sites/default/files/attach/2015/10/ucs-lacey-report-2015.pdf

[ii] TEREA/S-for-S/Topperspective. 2016. Evaluation of the EU FLEGT Action Plan (Forest Law Enforcement Governance and Trade) 2004-2014. Commissioned by the European Commission through the European Forest Institute, http://www.flegt.org/evaluation

2. L’exploitation illégale des forêts & la réponse

Qu’est-ce que l’exploitation illégale des forêts? 

On estime que, d’une manière ou d’une autre, la majorité de la production de bois est illégale dans de nombreux gros pays producteurs de bois. Des forêts tropicales de l’Amazonie, du Congo et de l’Asie du Sud-Est, aux forêts boréales de Russie, les infractions à la loi sont monnaie courante. Il a été estimé que plus de 100 million de mètres cubes de bois sont abattus illégalement chaque année, ce qui représente suffisamment de grumes pour faire dix fois le tour de la Terre.[i]

Alors que dans le passé la production illégale de bois provenait en majorité de l’abattage d’arbres individuels d’essences de grande valeur, une proportion croissante provient maintenant de la conversion illégale de forêts entières. En Indonésie, 80 pour cent de la déforestation à des fins d’agriculture commerciale et de plantation de bois est illégale. En Amazonie brésilienne, ce chiffre est de 90 pour cent. [ii] A l’échelle mondiale, on estime que la moitié des forêts tropicales défrichées au cours des douze premières années de ce siècle l’ont été illégalement.[iii]

“L’exploitation illégale des forêts” est communément comprise de façon erronée comme faisant référence uniquement à la récolte illicite d’arbres par des criminels dans les forêts protégées. En réalité, de nos jours, ce type d’activité représente une partie infime du vrai visage de l’exploitation illégale des forêts. La majorité de l’exploitation illégale des forêts est le fait de sociétés agréées qui agissent dans des forêts sous licence mais qui violent néanmoins une ou plusieurs lois. La majorité du bois d’origine illégale est blanchie dans des chaînes d’approvisionnement « légitimes », ou non identifiées comme illégales, et ainsi vendue ouvertement et non clandestinement. Souvent, les lois les plus importantes qui font l’objet de transgressions sont celles portant sur les droits des communautés locales. Une grande partie du bois d’origine illégale provient du défrichement à des fins d’agriculture commerciale à grande échelle et non de l’abattage sélectif traditionnel.

Ce guide utilise la définition la plus commune de l’exploitation illégale à savoir : tout abattage d’arbres, transformation et commerce de bois réalisé en contravention de la législation ou de la règlementation nationale. Elle couvre ainsi un large éventail d’infractions, y compris (mais pas seulement) les pratiques telles que la délivrance illégale de permis de coupe, la corruption dans  l’attribution des permis, la surexploitation dans une zone sous licence, l’évasion fiscale et la violation des garanties sociales règlementaires. Mais surtout, elle comprend l’abattage et la conversion des forêts réalisés en contravention des droits des populations locales et autochtones, qui dépendent souvent des forêts pour leur survie et qui risquent de souffrir le plus de la déforestation.

La réponse à l’exploitation illégale sur les grands marchés

L’exploitation illégale des forêts est motivée par les ventes de bois d’origine illégale dont la majorité pénètre sur le marché international. L’UE et les États-Unis figurent parmi les plus gros importateurs et consommateurs de bois et de produits du bois d’origine illégale. Pour tenter de résoudre le problème de leur complicité dans cette crise globale, tous deux ont récemment adopté des législations visant à prévenir l’importation et la vente de bois d’origine illégale. Il s’agit de la loi Lacey américaine et le Règlement Bois de l’UE (RBUE). La mise en œuvre efficace de ces lois est essentielle pour que les efforts plus larges visant à stopper l’exploitation illégale des forêts soient couronnés de succès.

Bien que l’objectif spécifique de ces lois soit limité à l’arrêt des importations de bois illégal sur le marché de ces pays, leur valeur réelle est bien plus large. Elles créent une pression croissante sur d’autres pays consommateurs majeurs, tels que la Chine et le Japon, pour promulguer des législations similaires et étouffer davantage le marché du bois illégal. En Europe, le RBUE est une composante essentielle d’un groupe de mesures plus larges visant à améliorer la gouvernance des forêts. Parmi ces mesures, les plus importantes sont les accords bilatéraux que l’UE développe avec de nombreux pays parmi les plus gros producteurs de bois dans les tropiques.

Ces accords, connus sous le nom d’accords de partenariat volontaire (APV), ont de nombreux impacts positifs. Ils encouragent le développement de systèmes de vérification de la légalité pouvant bloquer l’accès du bois illégal à tous les marchés, y compris les marchés domestiques. Surtout, ils s’attaquent aux sources profondes du problème de l’exploitation illégale en améliorant la transparence et l’obligation de rendre des comptes, ce qui constitue une réforme de la gouvernance pouvant avoir des effets positifs bien au-delà du secteur forestier. Si le RBUE n’est pas appliqué convenablement, les pays sont moins enclins à mettre ces accords en œuvre.

Il est donc évident que le succès ou l’échec de ces lois a des conséquences bien plus larges pour la lutte contre l’exploitation illégale des forêts et pour une meilleure protection des droits des populations dépendantes des forêts à l’échelle mondiale. Ces lois, et la façon dont elles peuvent être utilisées pour lutter contre l’exploitation illégale des forêts en utilisant les informations fournies par la société civile, sont décrites plus en détails ci-dessous.

La loi Lacey américaine

En 2008, les États-Unis ont été le premier pays au monde à interdire l’importation de bois provenant de sources illégales dans d’autres pays. Il l’a fait en amendant la législation existante (la loi Lacey de 1900) qui jusque-là ne s’appliquait qu’aux animaux et produits animaux. Les amendements réalisés constituaient en infraction l’importation, l’exportation, le transport, la vente, l’obtention ou l’acquisition de tout végétal d’origine illégale. Bien qu’ils s’appliquent à tous les végétaux en général et de toutes les origines, domestiques ou étrangères, ces amendements ont pour objectif et effet principal d’interdire l’importation et la vente de bois illégal provenant de l’étranger.

La loi Lacey considère d’origine illégale le bois récolté, transporté ou vendu dans les conditions suivantes : en violation des lois étrangères qui protègent ou régulent la récolte des arbres ; sans s’être acquitté du paiement des taxes correspondantes sans le pays d’origine ; ou en contravention des contrôles d’exportations des produits du secteur forestier. Les sanctions prévues par la loi Lacey vont du paiement d’amendes aux peines de prison, selon la gravité de l’infraction et selon que la société incriminée connaissait (ou aurait dû connaître) l’infraction. Les produits du bois importés en violation de la loi peuvent être saisis quelle que soit la gravité de l’infraction et que la société concernée ait connaissance des infractions ou non.

Les amendements de la loi Lacey de 2008 comprenaient une autre condition nécessaire importante : la déclaration d’importation. Mise en place progressivement, cette condition impose à toute société important la plupart des produits du bois[i] de soumettre une déclaration obligatoire (Plant Product Declaration ou déclaration de produit végétal) spécifiant les essences et le pays d’origine. Les cargaisons qui arrivent sans déclaration exacte peuvent être saisies et les sociétés qui déclarent délibérément de fausses informations peuvent être poursuivies en justice et pénalisées.

Jusqu’en avril 2016, trois grosses affaires d’importation de bois illégal ont été portées devant les tribunaux en vertu de la loi Lacey. La première mettait en cause Gibson Guitars et concernait l’importation de bois d’ébène venant de Madagascar. L’origine illégale du bois était un facteur pertinent mais l’affaire portait aussi sur des allégations d’exportation illégale d’un pays tiers (Inde) et de fausse déclaration d’importation vers les États-Unis. La deuxième concernait un envoi de bois de sciage du Pérou, arrivé en 2009 et confisqué en vertu du régime de déclaration obligatoire de la loi, car les produits avaient été faussement déclarés comment produits finis. La preuve existait aussi que les exportateurs n’avaient aucun droit légal sur le bois.

L’affaire la plus récente portait sur du plancher fabriqué en Chine à partir de bois abattu dans l’Extrême Orient russe et au Myanmar. En octobre 2015, la société impliquée (le détaillant en plancher américain, Lumber Liquidators) a plaidé coupable d’avoir passé en contrebande du bois illégal vers les États-Unis et a été obligée de payer plus de 10 millions de dollars américains d’amendes et autres peines. La société a plaidé coupable à cinq chefs d’accusation, dont quatre portaient sur de fausses déclarations concernant le pays de récolte ou les essences, sur les déclarations obligatoires de produits végétaux.[ii]

Ce sont des informations transmises par un négociant qui ont permis de révéler l’affaire péruvienne, tandis que les affaires de Gibson et Lumber Liquidators ont été déclenchées par des informations obtenues par des ONG.

Le RBUE

En 2010, l’Union européenne a suivi la même voie que les États-Unis en adoptant une loi qui rendait illégale l’importation de bois récolté illégalement dans le pays d’origine. La loi connue sous le nom de règlement bois de l’Union européenne est entrée en vigueur en mars 2013. Bien qu’elle ait été adoptée pour la même raison, le RBUE diffère de la loi Lacey à plusieurs niveaux importants:

  • L’applicabilité à la chaîne d’approvisionnement : Le RBUE s’applique seulement aux sociétés qui récoltent ou importent (« mettent sur le marché ») du bois d’origine illégale, et non aux sociétés le long de la chaîne d’approvisionnement.
  • Les produits concernés: Le RBUE s’applique seulement à une liste précise de produits du bois. Le charbon, les instruments de musique, les cadres, les livres imprimés et certains types de meubles sont des exemptions notables.
  • La diligence raisonnable: Non seulement le RBUE interdit l’importation de bois d’origine illégale (« l’interdiction »), mais il impose également aux importateurs l’obligation légale de pratiquer la diligence raisonnable lors de l’achat de bois. Le manquement à cette obligation est considéré comme un délit.
  • Les organisations d’observation: En vue d’aider la mise en œuvre de l’obligation de diligence raisonnable, le RBUE contient également des règles pour la reconnaissance officielle (et vérification) d’ « organisations de contrôle » tierces, que les sociétés peuvent employer pour les aider à pratiquer la diligence raisonnable.

La diligence raisonnable constitue peut-être la différence la plus importante entre les deux lois. Les sociétés ont par-là l’obligation légale de suivre certaines procédures visant à minimiser le risque que le bois qu’elles importent soit d’origine illégale. Manquer à cette obligation est en soi un délit punissable et il n’est pas nécessaire aux fonctionnaires de l’État de prouver que le bois est d’origine illégale. Le niveau de preuve requis pour engager des poursuites est donc bien moins élevé pour le RBUE que pour la loi Lacey américaine. Cela signifie qu’un large éventail de preuves peut être utile pour faciliter la mise en œuvre et l’exécution.

Comme la loi Lacey, le RBUE porte uniquement sur des types précis d’infractions dans le pays d’origine. Ici, les infractions concernées sont celles qui vont à l’encontre de la législation gouvernant les droits d’abattage, les processus de récolte (tels que les contrôles environnementaux), les taxes liées à la récolte du bois ainsi que les contrôles commerciaux et douaniers propres au secteur. Contrairement à la loi Lacey, le RBUE comprend également les infractions liées aux droits d’utilisation et de tenure des populations locales affectées par l’exploitation forestière.

Bien que RBUE s’applique à l’ensemble des pays membres de l’Union européenne, il incombe à chaque État membre de voter les lois nationales qui énoncent les sanctions à appliquer et de définir les organisations responsables de la mise en œuvre de la loi et celles chargées de la faire appliquer dans ses frontières. En mars 2016, de tous les États membres seule la Hongrie n’avait pas encore pris les mesures légales et réglementaires de base. Cela ne veut pas nécessairement dire que les autres pays appliquent tous la loi efficacement ou que les sanctions sont dissuasives, comme l’exige de RBUE.

Dans de nombreux États membres, les peines maximales applicables en vertu du RBUE sont importantes. Mais à ce jour, le volet interdiction n’a donné lieu à aucune poursuite, et aucune sanction n’a été appliquée pour manquement à l’obligation de diligence raisonnable. Des dossiers intéressants sont néanmoins en cours concernant l’obligation de diligence raisonnable du RBUE. L’un concerne une société néerlandaise au sujet d’importations de bois de sciage tropical en provenance du Cameroun. L’autre concerne une société suédoise pour l’importation de teck venant du Myanmar, vendu via la Thaïlande. Le premier dossier a été ouvert sur la base de preuves obtenues par une ONG.

3. Comment la société civile peut aider à lutter contre le bois illégal

Les preuves fournies par les ONG ont joué un rôle essentiel pour persuader les législateurs de modifier la loi Lacey et d’adopter le RBUE. Elles seront tout aussi cruciales pour assurer le succès de ces lois. Les informations fournies par des tiers sont importantes pour aider à faire appliquer ces lois et les dossiers les plus importants traités à ce jour en vertu de la loi Lacey et du RBUE ont vu le jour grâce à des informations fournies par les ONG. Il sera tout aussi important d’utiliser d’autres moyens pour renforcer la mise en œuvre de ces lois et les faire respecter, en s’assurant que ces lois restent elles-mêmes en place et sont progressivement améliorées.

Le RBUE reconnait officiellement l’importance des informations fournies par les membres du public. Un article de la loi note que les autorités peuvent procéder à des vérifications auprès des opérateurs nationaux, des importateurs de bois et des organisations de contrôle sur la base de « rapports étayés » émanant de tiers quant au respect du règlement. Le préambule précise qu’en de telles circonstances, elles devraient « s’employer à » effectuer des vérifications.

Dans la plupart des pays, les autorités chargées du RBUE affirment utiliser les informations émanant de tiers pour les aider à définir les vérifications à réaliser. Une évaluation officielle du RBUE réalisée en février 2016 concluait que les rapports étayés avaient été largement utilisés au cours des deux premières années d’application du RBUE et s’étaient avérés être « un outil efficace pour identifier les produits ou les opérateurs devant faire en priorité l’objet de vérifications basées sur le risque qu’ils présentent.

Les informations fournies par la société civile peuvent avoir un impact important sur les comportements dans le secteur forestier, même lorsque ces informations ne sont pas adaptées pour déclencher des poursuites individuelles.  Si des organisations ou des individus peuvent démontrer qu’il existe un risque d’infraction élevé dans une chaîne d’approvisionnement, cela peut avoir un effet dissuasif sur le marché. Les acheteurs peuvent ne plus vouloir prendre le risque de violer la loi et faire preuve de diligence raisonnable. Bien que, contrairement au RBUE, la loi Lacey n’impose pas de sanctions aux sociétés qui ne pratiquent pas la diligence raisonnable, les sociétés sont passibles de sanctions plus lourdes si elles pouvaient raisonnablement savoir que le bois était d’origine illégale. Les enquêteurs de la société civile peuvent s’assurer qu’elles le savent.

Ainsi, en mettant dans le domaine public un flux continu et cohérent de preuves solides sur l’exploitation illégale des forêts et son commerce associé, il sera plus probable de découvrir les contrevenants qui auront acheté du bois illégal et il sera possible d’accroître les sanctions.

Les types d’informations utiles

Il peut être utile de disposer d’un large éventail de preuves pour mettre en œuvre et faire appliquer le RBUE et la loi Lacey. Idéalement, les preuves fournies aux fonctionnaires chargés de faire respecter la loi sont suffisantes en tant que telles pour permettre de prendre des mesures, toute la chaîne d’approvisionnement est bien documentée et des preuves irréfutables des infractions à la loi Lacey et au RBUE sont obtenues. En réalité, cela est rarement possible. Dans la plupart des cas, les preuves obtenues par des tiers indépendants incomplètes. Certaines preuves peuvent même porter sur des produits ou des parties de la loi du pays producteur qui ne sont pas couverts par le RBUE ou la loi Lacey. Toutefois, cela ne veut pas dire que ces informations ne peuvent pas être utilisées et avoir des répercussions.

Les autorités en charge de faire respecter la loi peuvent s’appuyer sur des preuves partielles ou incomplètes et utiliser leurs pouvoirs pour procéder à des vérifications et obtenir des informations officielles. Par exemple, des preuves solides d’infractions sur du bois d’un fournisseur d’un pays étranger peuvent amener les autorités à vérifier si des sociétés importent du bois de ce fournisseur en interrogeant les bases de données douanières.

S’il peut être démontré qu’un produit est probablement d’origine illégale, même si ce n’est pas certain, cela peut être suffisant pour modifier le comportement des sociétés ou démontrer le manque de diligence raisonnable si d’autres preuves émergent plus tard. Les preuves qui portent sur des produits ou des parties de la loi du pays d’origine non couverts par la législation actuelle peuvent aider à modifier la législation à l’avenir. La Commission européenne, par exemple, étudie déjà la possibilité d’accroître le nombre de produits couverts par le RBUE.

L’encadré 1 présente les différentes façons dont les informations peuvent aider la mise en œuvre et le développement de la loi, mais aussi influencer les comportements et les politiques. De la forme des informations rassemblées dépendra l’utilisation que peuvent en faire les organisations ou individus. Par exemple, ils vont peut-être pouvoir obtenir pour une société donnée des renseignements qui peuvent permettre de prendre des mesures coercitives contre cette société. Ils peuvent aussi rassembler des informations qui ne portent pas sur une société donnée mais qui sont plutôt un ensemble beaucoup plus large de données sur les taux d’infraction dans un pays entier. Il ne sera peut-être pas possible alors d’imposer des sanctions à une société donnée, mais ces informations peuvent être utilisées pour dissuader les sociétés de se fournir dans ce pays. Ils peuvent aussi rassembler des preuves solides d’infractions sur un produit donné qui n’est pas couvert par le RBUE. Ces informations pourraient alors être utilisées pour soutenir les efforts visant à développer le RBUE et à y inclure ce produit.

Le chapitre suivant expose en détail comment les gens dans le monde entier peuvent chercher des informations pertinentes et des preuves. Le dernier chapitre examine comment présenter aux mieux ces informations afin de maximiser leur impact.

Comment les preuves provenant de tiers peuvent aider la mise en oeuvre de la loi Lacey et du RBUE

  • Conduire directement à la prise de mesures coercitives. Idéalement, les preuves présentées aux fonctionnaires chargés de faire appliquer la loi seront suffisantes en tant que telles pour justifier les mesures à prendre, mais cela est rare.
  • Fournir un point de départ. Même si elles sont incomplètes, des preuves de bonne qualité, bien documentées, fournies par des ONG aux autorités chargées de faire respecter la loi peuvent constituer un point de départ à partir duquel elles vont pouvoir constituer un dossier.
  • Influencer les priorités pour faire respecter la loi. En plus de fournir un point de départ sur lequel s’appuyer, ces preuves de bonne qualité même incomplètes, fournies par des ONG, peuvent aider les fonctionnaires chargés de faire respecter la loi dans leurs choix concernant l’affectation des ressources, notamment dans le choix des cargaisons, des sociétés ou des chaînes d’approvisionnement à vérifier.
  • Démontrer la connaissance préalable. Pour le RBUE comme pour la loi Lacey, la décision d’entamer une action par les autorités (et le niveau de sanction à appliquer) dépend en partie de ce que savait la société, ou de ce qu’elle aurait raisonnablement dû savoir, concernant l’illégalité ou le risque d’illégalité du bois. Les ONG peuvent aider à accroître la probabilité de poursuites ultérieures ou le montant des sanctions appliquées, en contactant les sociétés qui importent ou gèrent des produits à haut risque, pour les avertir du risque.
  • Influencer le comportement du secteur privé. Même si les preuves obtenues par les ONG ne donnent pas lieu à des mesures coercitives, elles peuvent néanmoins conduire à des changements volontaires dans les pratiques d’achat des sociétés. Les ONG peuvent envoyer les informations directement aux acheteurs identifiés et si nécessaire elles peuvent exercer des pressions en publiant leurs conclusions.
  • Influencer la politique du gouvernement. Quand les preuves obtenues par les ONG ne sont pas utilisées car elles portent sur des produits ou des infractions de prédicat qui ne sont pas couverts par la loi, ou encore parce que le gouvernement ou l’agence concernée n’a pas fait son devoir pour mettre correctement en œuvre et faire respecter la loi, alors il peut être utile de faire des révélations publiques sur le dossier pour encourager une meilleure mise en œuvre ou même aider à faire modifier la loi pour élargir sa portée.

4. Comprendre la chaîne d’approvisionnement

Pour identifier et suivre le bois illégal jusqu’au marché, il faut interroger divers ensembles de données et sources d’informations à différents points de la chaîne d’approvisionnement. Il n’existe pas d’approche unique pour enquêter sur le commerce du bois mais plutôt un éventail d’outils et d’approches qui peuvent être utilisés avec divers degré d’efficacité dans chaque cas.

Pour comprendre les différents types d’infractions et les moyens de les identifier, la chaîne d’approvisionnement peut être divisée en trois étapes différentes :

Etape 1 : La récolte du bois

Etape 2 : Le transport, la transformation et la vente du bois (ce qui couvre le commerce du point de récolte jusqu’au point d’exportation)

Etape 3 : Le marché final

Les recherches peuvent commencer à n’importe quel point de la chaîne d’approvisionnement. Le point de départ est dicté par les capacités de l’organisation réalisant l’enquête, où elle se trouve et les preuves préalables dont elle dispose. Par exemple, une ONG installée au Royaume-Uni essayera peut-être de remonter la chaîne d’approvisionnement à partir d’un produit à haut risque vendu au Royaume-Uni. Une ONG basée dans une ville portuaire d’Indonésie pourra essayer de remonter la chaîne d’approvisionnement en amont jusqu’à la source et la suivre en aval jusqu’au marché. Comme cela a été expliqué dans le chapitre 1, une enquête n’a pas besoin de couvrir toute la chaîne d’approvisionnement pour être utile. Elle n’a pas non plus besoin d’identifier où le bois a été récolté ou de démontrer qu’il a été récolté illégalement, si elle peut prouver qu’il a été transformé ou vendu illégalement.

Les sections suivantes présentent les types d’infractions possibles aux différentes étapes de la chaîne d’approvisionnement, les méthodes pouvant être utilisées pour les identifier et la façon dont le bois peut être suivi du point de récolte jusqu’au marché.

5. La récolte

Les types de récolte illégale

Le bois peut être récolté selon différents modèles allant de la coupe sélective dans des forêts gérées par les communautés par exemple, à la coupe rase de vastes zones pour le développement de plantations commerciales. Quel que soit le modèle, la légalité de la récolte peut être réduite à deux questions très simples :

  1. Existe-t-il un droit d’extraction du bois dans cette zone ?
  2. Le bois est-il extrait en suivant les dispositions légales attachées à ce droit?

Dans cette section, les termes « droit de récolter » et « infractions opérationnelles » sont utilisés respectivement pour faire référence à ces deux notions.

Derrière ces principes, il existe toute une typologie de l’illégalité, qui reflète les nombreuses obligations qui sous-tendent les droits de récolte. Dans quasiment tous les pays, les divers aspects de la récolte sont gouvernés par des processus complexes de permis qui vont bien plus loin que la simple question de savoir si la coupe des arbres est autorisée. Il existe des règlementations visant à assurer que l’État ne subit pas de pertes, que les dommages environnementaux sont atténués, que les communautés profitent de l’exploitation et que les essences protégées ne sont pas récoltées. La violation d’un seul de ces aspects du régime de récolte peut rendre illégal le produit d’une zone donnée.

Bien que les forêts qui approvisionnent le marché mondial du bois s’étirent d’un bout à l’autre de la planète, les processus d’autorisation et les façons de les enfreindre présentent davantage de similarités que de différences. Les évaluations d’impact environnemental sont, par exemple, une obligation fréquente pour les concessions que ce soit pour une exploitation sélective ou une coupe rase. Les concessions forestières pratiquant la « gestion durable des forêts » ont l’obligation de produire un plan de coupe annuel qui définit les zones dans lesquelles la récolte peut avoir lieu chaque année et les volumes pouvant être récoltés. Les sociétés qui exploitent le bois sont toujours redevables d’impôts.

Cette section ne fournit pas un catalogue de toutes les obligations légales mais se concentre sur la description des infractions les plus fréquentes et sur les moyens de les détecter et d’en rendre compte. Ces typologies ne sont pas exhaustives mais fournissent une vue d’ensemble des pratiques illégales identifiées par la société civile en Asie, en Afrique, en Amérique latine et dans l’Extrême-Orient russe.

Les infractions portant sur les droits de récolte

L’exploitation de zones ne faisant pas l’objet de permis

La forme d’exploitation illégale des forêts la plus communément reconnue est celle qui se produit là où il n’existe aucun droit sur la terre ou sur le bois, à savoir dans les parcs nationaux, les aires protégées ou les réserves de peuples autochtones (quand l’exploitation est perpétrée par des étrangers). La forêt peut aussi être exploitée après que les permis ont expiré ou avant qu’ils aient été obtenus. Une pratique documentée au Laos, en République démocratique du Congo, au Pérou, au Brésil et dans l’Extrême-Orient russe, consiste à obtenir des droits de récolte dans une zone et à utiliser ces permis comme façade pour exploiter d’autres zones ne faisant l’objet d’aucun droit.

L’exploitation de zones en l’absence de tous les permis requis

Comme décrit plus haut, le processus d’obtention de droits légaux sur une zone de forêt pour une coupe sélective ou pour la conversion des terres à d’autres usages demande généralement tout un éventail de procédures et autorisations légales et administratives. Quand ces procédures ont été bâclées et ignorées, et qu’en conséquence des permis n’ont pas été obtenus, le produit de ces concessions peut être illégal.

Les évaluations d’impact environnemental et les plans annuels de coupe sont par exemple des obligations importantes et pourtant souvent non remplies. Au Brésil, du bois a été produit illégalement à partir de propriétés privées déboisées sans « autorisation de déboisement ». En République démocratique du Congo, il est obligatoire pour les contrats de concessions forestières d’inclure des accords sociaux avec les communautés locales mais ces derniers font souvent défaut. En Indonésie, c’est souvent le permis autorisant la récolte et la vente de bois commercial qui fait défaut. Dans chacun de ces exemples, il existe bien certains droits ou permis, mais il manque certains permis obligatoires.

L’attribution illégale de permis

Dans les cas où tous les permis requis ont été obtenus, il est possible de trouver des infractions dans la façon dont les permis ont été délivrés. Cela peut être la conséquence de négligences de la part des agences gouvernementales concernées ou résulter de corruption. Cette pratique est courante en Indonésie où des permis qui devraient être précédés d’évaluations d’impact environnemental sont acquis avant que le processus d’évaluation soit terminé. En République du Congo, des observateurs indépendants ont rendu compte de l’utilisation de titres de concessions qui n’avaient pas fait l’objet d’un processus d’attribution et de permis de coupe délivrés pour des concessions de palmiers à huile avant que soit terminée l’évaluation d’impact environnemental. Les permis ont été obtenus par des individus ayant des liens avec des hommes politiques ou même par des sociétés appartenant directement à des hommes politiques. Dans certains États, cela est illégal. Dans tous les cas, cette forme d’exploitation, légale ou non, par les hommes politiques doit être documentée et dévoilée au grand jour.

L’exploitation d’essences protégées

De nombreuses essences à forte valeur commerciale recherchées par les négociants européens et américains sont de plus en plus rares, menacées d’extinction et sont protégées par des lois nationales et internationales. Des essences telles que le ramin en Indonésie, le wengé et l’assaméla dans le bassin du Congo et l’acajou à grandes feuilles en Amazonie font l’objet d’une protection légale qui impose des limites dans leur récolte. Le ramin, l’acajou à grandes feuilles et l’assaméla ont également été inscrits aux annexes de la Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (CITES) qui impose des contrôles réglementaires supplémentaires sur le commerce international. De telles essences sont particulièrement vulnérables aux effets de l’exploitation illégale en raison de leur forte valeur commerciale. Elles peuvent faire l’objet de récoltes illégales aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des concessions. En République démocratique du Congo par exemple, le wengé a été récolté sans les autorisations requises par la loi. Au Pérou, l’acajou est exploité illégalement et blanchi grâce à des concessions forestières soi-disant légitimes s’appuyant sur toute une série de documents frauduleux [voir L’étude de cas 6].

Les infractions opérationnelles

La violation des termes des plans de coupe

Les activités d’exploitation dans les concessions destinées aux coupes sélectives et aux coupes rases sont normalement gouvernées par des plans d’aménagement forestier qui définissent les zones dans lesquelles le bois peut être récolté et sur quelle période. Ces plans définissent également d’autres contraintes légales conçues pour permettre une gestion durable de long terme. Ils définissent notamment les volumes maximum et les diamètres minimum des arbres pouvant être récoltés. Ces limites peuvent être violées de plusieurs façons. Par exemple, en prélevant des volumes plus importants, en abattant des arbres trop petits ou en exploitant des zones en dehors des limites établies par le plan. Pour éviter l’érosion du sol et la pollution de l’eau, il est souvent interdit de récolter du bois sur des terrains en forte pente ou près de cours d’eau mais ces pratiques illégales sont également courantes.

La violation des termes d’autres permis

Le droit de récolter est généralement étayé par des procédures et des permis supplémentaires, exigés par la loi et visant à atténuer l’impact de l’exploitation forestière sur l’environnement et les communautés locales. Souvent, ils ont pour objectif de permettre aux communautés de tirer des avantages directs de la présence des sociétés d’exploitation forestière ou de protéger leurs droits (bien que ces derniers ne soient pas entièrement reconnus par la loi). Les évaluations d’impact environnemental (EIE), qui obligent les sociétés à identifier et atténuer l’impact de leurs activités, font partie des permis et procédures imposés par la loi. La procédure d’EIE ne consiste pas en une seule intervention mais constitue un processus itératif qui se poursuit sur toute la durée des activités de la société. En raison de leur coût élevé et du fait qu’elles peuvent limiter les possibilités d’exploitation des sociétés, elles sont souvent fictives ou ignorées. Dans certains pays, comme l’Indonésie, la violation des lois relatives aux EIE est considérée comme un délit pouvant donner lieu à une peine de prison pour les coupables. Ainsi, un processus d’EIE peu fiable peut miner la légalité du droit d’exploiter.

Quand ils sont obligatoires, les accords sociaux signés entre les sociétés et les communautés peuvent constituer une autre forme de procédures et droits qui sous-tendent le droit d’exploiter. Ils sont par exemple obligatoires en RDC où les sociétés enfreignent régulièrement les termes des clauses sociales inclues dans le cahier des charges des contrats de concessions forestières. Afin d’accroître le retour sur investissement pour le pays d’origine, les contrats d’exploitation forestière imposent souvent aux sociétés forestières des obligations de construire des scieries ou de transformer un certain pourcentage de grumes récoltées. Ces obligations sont également généralement ignorées.

Les coupes hors limites

Déboiser ou récolter du bois en-dehors des limites d’une concession est pratique courante. Dans de nombreuses zones forestières reculées les limites des concessions, quand elles existent, sont mal tracées et le respect de ces limites définies dans les permis ne sont pas minutieusement examinées par les autorités.

L’évasion fiscale

Les sociétés d’exploitation forestière sont habituellement assujetties à des taxes forestières spécifiques. Ces dernières prennent souvent la forme d’une taxe calculée sur la base de la surface sous contrat ou gérée par la société, et d’une taxe portant sur le volume de chaque essence récoltée. Souvent, le processus pour calculer le montant des taxes à payer dépend d’un inventaire forestier réalisé soit par les sociétés elles-mêmes, soit par des fonctionnaires qui manquent de ressources. Ces failles et lacunes dans la surveillance permettent aux sociétés de minimiser les impôts qu’elles doivent payer, ou leur permettent de ne pas en payer du tout, ce qui rend illégal le bois récolté.

Les sous-déclarations des volumes sont monnaie courante en Amérique latine, en Afrique et en Asie. La fausse déclaration des essences est une autre pratique courante consistant à remplacer, sur les documents officiels, les essences rares de forte valeur commerciale avec des essences de moindre valeur. Lorsque des sociétés défrichent des terres sans les permis leur permettant de vendre le bois à des fins commerciales, comme c’est fréquemment le cas en Indonésie, le produit n’est pas déclaré et échappe ainsi à toutes les taxes au point de récolte. Cette pratique peut être même plus complexe et en RDC des observateurs ont affirmé que des sociétés d’exploitation forestière avaient négocié avec le gouvernement des accords illégaux leur permettant de ne pas payer des taxes

6. L’enquête sur la récolte: l’analyse sur document

Le principe de l’enquête sur la légalité au point de récolte est assez simple. Il consiste à comparer les données officielles de référence, qui indiquent ce qu’il est permis de récolter et sous quelles conditions, avec ce qui est observé en réalité dans la forêt.

La plus grosse difficulté est d’avoir accès aux informations nécessaires. Les données officielles de référence qui définissent ce qui est autorisé sont généralement détenues par les gouvernements. Or, ces derniers sont souvent réticents pour les divulguer. Mais établir ce qui se passe en réalité peut également présenter des difficultés techniques, logistiques et de sécurité. Cette section explique où trouver ces données et comment elles peuvent être comparées les unes avec les autres à chaque étape de l’enquête pour identifier les infractions.

La définition d’une cible

Les enquêtes commencent avec des indices ou une hypothèse. Les indices peuvent être des témoignages de communautés concernant l’exploitation illégale des forêts sur leur territoire. Il peut également s’agir d’articles de journaux citant un fonctionnaire de l’État déclarant que la plupart des sociétés de plantation, dans une région donnée, défrichent sans les permis de récolte de bois requis. Ces indices permettent de définir une ou plusieurs cibles : il peut s’agir d’une société expressément désignée, un groupe de sociétés, ou un type de sociétés. Quand il n’existe pas d’informations sur les auteurs, la cible peut être une zone géographique ou même une essence donnée qui fait l’objet d’une surexploitation.

Une cible peut être définie en travaillant à partir du marché et en remontant vers la cible. Les données sur le commerce du bois peuvent permettre d’identifier une société donnée, pratiquant la récolte du bois et figurant parmi les plus gros exportateurs vers des marchés sensibles. Dans de tels cas, les premières preuves que la société pratique des activités illégales ne sont pas très fortes mais son importance dans le secteur et la chaîne d’approvisionnement mérite peut-être une enquête. Cela est particulièrement vrai quand on sait que les taux d’illégalité sont élevés dans le pays d’origine. Lorsque l’enquête a commencé par l’identification d’un détaillant ou d’un importateur de produits à haut risque, la cible peut être identifiée en remontant systématiquement la chaîne d’approvisionnement. Dans de tels cas, il peut être approprié de débuter l’enquête en suivant les processus décrits dans la section 10, ‘Le suivi en aval jusqu’au marché final‘.

L’obtention des données sur les permis

Comme mentionné plus haut, les données officielles peuvent être difficiles à obtenir. Pour y parvenir, il est essentiel de viser large à la fois en termes de données recherchées et d’endroits où les chercher. En plus des permis propres à la société ou à la zone ciblée, il est important de rassembler autant d’informations contextuelles que possible, car la comparaison entre plusieurs ensembles de données peut fournir des réponses importantes. On peut citer comme exemples importants d’informations contextuelles, les données agrégées des récoltes de bois dans une région donnée, ainsi que les plans d’aménagement ou zonage forestier qui désignent les zones destinées à l’exploitation forestière ou à la conversion en vue d’un usage agricole. Il est également important de garder à l’esprit que les informations sur une zone faisant l’objet d’un permis peuvent souvent se trouver dans des documents relatifs à des zones adjacentes.

Les informations relatives aux permis sont le plus facilement accessibles sur Internet. Les données sont parfois publiées directement par les agences gouvernementales sur leur site Internet. Elles ont parfois aussi été obtenues dans le passé par un tiers comme un journal ou une ONG. Par exemple, des informations portant sur les permis (y compris les limites et le nom du titulaire du permis) sont maintenant disponibles pour de nombreux pays forestiers, sur le site Internet Global Forest Watch du World Resources Institute. Souvent, les rapports d’organisations environnementales relatives aux aires protégées ou à la planification de l’utilisation des terres contiennent aussi des cartes détaillées des sociétés forestières ou minière, et des sociétés de plantations intervenant dans les zones adjacentes. Il se peut aussi que les sociétés publient des informations sur les permis qu’elles ont obtenus, notamment dans leurs rapports annuels et leurs annonces officielles.

Les “plaquettes” produites par les sociétés en préparation de leur cotation en bourse sont particulièrement riches en informations. Lorsqu’elles sont membres d’un système de certification, tel que la Table ronde pour une huile de palme durable ou le Forest Stewardship Council, les sites Internet de ces organismes, ou ceux des certificateurs individuels, contiennent souvent des informations utiles. Il est nécessaire de choisir intelligemment les termes utilisés dans les recherches sur Internet et de reconnaître les limites des moteurs de recherche. [Voir Les sources d’information sur Internet]

Certaines informations peuvent appartenir au domaine public mais ne pas être sur Internet. Les ONG, notamment celles qui se trouvent dans la zone concernée, détiennent des données non publiées qu’elles ont obtenues auprès du gouvernement au cours de leur travail. Les communautés peuvent être une source particulièrement abondante de données concernant les permis, qu’elles ont pu obtenir au cours des processus de consultation auprès du gouvernement ou des sociétés. Même dans des zones où les droits des communautés sont fragiles, il existe parfois l’obligation de leur fournir des informations. Dans de nombreux cas, les membres de la communauté obtiendront des emplois auprès des sociétés qui exploitent les terres dans la zone ou dans les zones adjacentes, ce qui représente une autre façon d’obtenir des informations. Certains gouvernements publient seulement des informations en version papier, soit sous forme d’annonce dans les journaux, soit dans les journaux officiels.

Lorsque l’information n’est pas dans le domaine public, il faut aller la chercher directement auprès des organisations gouvernementales concernées. Toutefois, dans la plupart des régions le manque de transparence et les collusions entre les fonctionnaires de l’État et les sociétés représentent un défi. Dans de nombreux pays, les données sont mal gérées et, quand ils sont accessibles, les registres ne sont pas toujours complets. Il est possible que les données soient délibérément mal organisées et même falsifiées pour éviter les examens trop poussés. Néanmoins, les informations obtenues par les canaux officiels fournissent de solides données de base. Il est important de noter que comme les sociétés sont soumises à différentes régulations, les autorisations proviennent invariablement de nombreuses sources, de nombreux ministères et de nombreux niveaux de gouvernement, allant du local au national. Quand certaines sources sont réticentes pour donner des informations, d’autres seront peut-être plus ouvertes. Certains pays, tels que le Pérou ou l’Indonésie, ont introduit des lois sur la liberté d’information qui donnent aux citoyens des droits d’accès à certaines informations. [Voir Liberté d’information]

L’analyse de documents de référence: que révèlent les permis?

L’étape suivante consiste à comparer les permis a) avec les règles qui les régissent, et b) les uns avec les autres. Cela permet de vérifier la légalité du processus même d’attribution des permis et de vérifier si certains permis font défaut, sont incomplets ou délivrés dans le mauvais ordre.

Les recherches réalisées par les ONG, les gouvernements et les instituts de recherche dans la quasi-totalité des pays forestiers fournissent des synthèses du fonctionnement pratique du processus d’attribution des permis. Les données obtenues sur les permis devraient être organisées et vérifiées en suivant ces synthèses et en mettant en avant les déviances par rapport au processus décrit. Il est possible qu’il manque de nombreux permis, mais cette découverte devrait être traitée avec prudence car il se peut que le permis existe mais qu’il n’ait pas été obtenu. La portée de cette découverte dépend de l’importance du permis. Par exemple, l’absence d’évaluation d’impact environnemental ou de plan d’aménagement forestier est une information cruciale, mais il est peut-être moins important de ne pas remplir certaines autres obligations bureaucratiques.

Suite à cette comparaison structurelle, c’est le contenu même du permis qui doit être examiné. Les documents qui constituent le droit de récolter, à savoir les évaluations d’impact environnemental, les plans d’aménagement forestier, les contrats et autres, contiennent des données descriptives qui peuvent être comparées au cadre réglementaire. Ce processus nécessitera une compréhension plus détaillée des règles et du cadre réglementaire, qui peut être complexe. Il peut être utile à ce stade de se référer à des analyses juridiques et si possible de faire appel à des experts juridiques pour définir des formes d’illégalité subtiles mais graves. Ce sera le cas, par exemple, lorsque les contrats ne comprennent pas de clauses sociales au profit des communautés ou lorsqu’il apparaît que les communautés n’ont pas été consultées au cours des évaluations d’impact environnemental.

Dans certains cas, les informations relatives aux permis peuvent même fournir la preuve concrète que les sociétés ont violé la loi en débutant leurs activités avant d’avoir obtenu les permis. C’est le cas notamment en ce qui concerne les évaluations d’impact environnemental, qui lorsqu’elles ont été faites convenablement, devraient fournir une analyse des conditions actuelles dans la concession ou la zone cible. En Indonésie, les analyses du couvert végétal sur les documents d’évaluation ont montré que la déforestation pour le développement de plantations avait commencé avant le processus d’évaluation. Au Sarawak, les évaluations d’impact environnemental ont montré que les sociétés d’exploitation forestières ont commencé l’exploitation de forêts de seconde venue avant d’être légalement habilitées à le faire [voir Étude de cas 2].

A ce stade le processus de recherche devrait chercher à identifier les données qui ne sont pas utiles immédiatement mais pourraient le devenir au cours de la progression de l’enquête. Les informations essentielles qui se trouvent dans les données concernant les permis sont les suivantes:

  • Les prévisions des volumes de bois devant être récoltés dans une zone donnée. Elles peuvent être comparées plus tard aux estimations des volumes récoltés réalisées sur le terrain ou aux volumes exportés. Cela est important pour déterminer les volumes non déclarés à des fins d’évasion fiscale ou les volumes sur-déclarés pour faciliter le blanchiment de grumes dans les concessions.
  • Les limites des concessions. Celles-ci seront comparées plus tard aux changements du couvert végétal fournis par les données satellites, ainsi que par les données GPS obtenues sur le terrain. Lorsque les limites figurent sur les permis, il est probable qu’il soit nécessaire de les numériser avant de pouvoir procéder à une telle analyse. Il faut souligner que différents permis peuvent indiquer différentes limites pour la même concession. Il faut donc traiter ces informations avec prudence.
  • Les plans de coupe qui définissent les blocs pouvant être exploités, et quand ils peuvent l’être. Ces plans peuvent également être comparés à la réalité sur le terrain en utilisant l’analyse satellite et les données de terrain.
  • Les zones qui sont en-dehors des limites d’abattage sur les plans de coupe, les plans de gestion des forêts, les évaluations d’impact environnemental ou d’autres documents. Ici encore, ces informations peuvent être comparées aux images satellites et aux informations rassemblées sur le terrain.

Un œil dans le ciel: comparer les permis avec les données satellites

L’étape suivante de l’enquête consiste à comparer les données trouvées sur les permis avec d’autres données. Cela peut permettre de vérifier que les clauses des contrats identifiées au cours de l’analyse des permis ont été respectées. Les cartes des limites, les plans de coupe et les zones interdites découvertes au cours de ces recherches prennent alors une importance cruciale. Elles peuvent être superposées sur d’autres données spatiales et images satellites et utilisées directement pour détecter certains types d’exploitation illégale [voir Encadré : Les types d’exploitation illégale potentiellement détectable grâce à l’utilisation des images satellites]. Elles peuvent aussi guider le travail de terrain nécessaire pour documenter d’autres types d’infractions. Au Sarawak, par exemple, les cartes fournies par les évaluations d’impact environnemental ont été comparées aux images satellites pour prouver que l’exploitation se déroulait en dehors des limites de la concession et révéler d’autres infractions [voir Étude de cas 2].

Jusqu’à récemment, l’analyse des changements dans le couvert végétal pour détecter l’exploitation forestière ou la conversion des forêts nécessitait la possession et la connaissance des logiciels de systèmes géographiques d’information (SGI) et l’acquisition et le traitement d’images satellites onéreuses. Mais grâce aux avances rapides dans le traitement des images et le développement de plateformes SGI en ligne, ces technologies sont maintenant plus accessibles et plus faciles à utiliser. Des images satellites de haute résolution sont disponibles de plus en plus facilement dans des formats faciles à l’emploi.

Google Earth, qui peut être téléchargé gratuitement, héberge des images satellites de diverses résolutions. La plupart des zones sont couvertes avec une résolution d’environ 15 mètres par pixel (grâce aux satellites Landsat), ce qui est suffisant pour détecter le défrichement des forêts et l’expansion des pistes forestières associées à l’exploitation sélective dans les forêts vierges. Toutefois, certaines zones sont couvertes par des images d’une résolution de 60cm, ce qui permet d’identifier de très petites zones de défrichement et peut être utilisé pour rendre compte de coupes dans les zones tampons ripicoles et du déboisement le long des pistes forestières au-delà des limites légales. Google Earth héberge également des images des conditions passées qui permettent aussi d’identifier les changements dans le couvert sur la durée. Google se procure ces images satellites auprès de tierces parties. Il est maintenant relativement aisé pour les ONG de chercher, identifier et obtenir des images de haute résolution directement auprès des mêmes fournisseurs [voir Images de haute résolution].

Les utilisateurs peuvent télécharger les limites des concessions et autres données contextuelles spatiales sur Google Earth. Cela permet non seulement d’analyser les changements dans le couvert végétal à l’intérieur des concessions, mais aussi de montrer si les concessions se trouvent dans des aires protégées, des territoires communautaires ou d’autres zones où la récolte d’arbres est proscrite.

En 2013, le World Resources Institute a relancé Global Forest Watch (GFW), un système en ligne de suivi des forêts et d’alerte. GFW héberge des ensembles de données géographiques qui peuvent être utilisés pour analyser et identifier l’exploitation illégale, et notamment les données sur les changements dans les forêts, le couvert forestier et l’utilisation des forêts. Ces données comprennent les cartes des concessions (y compris les noms des titulaires de permis) pour l’exploitation forestière et les plantations dans de nombreux pays forestiers, mais on sait que les données sont incomplètes. Les données doivent donc être traitées avec prudence, car certaines limites ne sont pas tracées précisément et il est probable que certaines informations ne soient pas à jour.

Comme Google Earth, GFW permet aux utilisateurs de télécharger leurs propres données spatiales et de réaliser leurs propres analyses. Contrairement à Google Earth toutefois, les analyses de GFW sont pour la plupart automatisées. Cela permet aux utilisateurs de voir et quantifier, sur la durée, la perte du couvert forestier (identifiée automatiquement à partir des images Landsat) dans une zone définie par les utilisateurs, et de créer des alertes en cas de pertes de couvert à l’avenir. En 2016, GFW a publié un nouvel ensemble de données qui fournit également des images satellites brutes. Ces images sont plus récentes et mises à jour beaucoup plus régulièrement que celles disponibles sur Google Earth. Certaines sont également de meilleure résolution. La comparaison, dans la durée, des changements dans l’utilisation des terres avec les dates des permis peut montrer que l’exploitation a commencé avant l’obtention des permis, ce qui est suffisant pour monter un dossier.

Dans de nombreux cas, les cartes des concessions ne seront pas disponibles au cours des investigations. Dans ce cas, Google Earth et GFW peuvent tous deux s’avérer très utiles pour raffiner la localisation de l’exploitation illégale et quantifier son ampleur. Bien que cela ne permette pas d’identifier les auteurs, cela peut fournir des indications sur l’ampleur des activités (industrielles ou de petite échelle) et déterminer si elles se déroulent dans des zones où il ne peut légalement pas y avoir de concessions. Cela peut également faciliter les étapes suivantes et notamment le choix des lieux où réaliser des recherches de terrain.

Les images satellites, et notamment les cartes de « perte de couvert forestier » qui en sont extraites automatiquement (comme le fait GFW) devraient être traitées avec prudence. Les images de moindre résolution ne permettent pas de déterminer si le défrichement porte sur des forêts ou d’autres types de végétation, telles que des terres agricoles, de la brousse ou même des plantations. Les analyses automatisées ne révèlent pas nécessairement le défrichement, et l’exploitation sélective peut ne pas être visible sur des images de moindre résolution, notamment si elle est de faible intensité ou porte sur des forêts déjà perturbées. Il n’est pas non plus possible de déterminer, à partir des changements observées, si du bois commercial est produit ou dans quels volumes, et encore moins de déterminer qui procède aux coupes. L’analyse des cartes et des images satellites est utile pour commencer à rassembler des données, compléter la vision de la situation, et surtout pour guider les recherches sur le terrain qui peuvent répondre aux questions qu’elle soulève.

7. L’enquête sur la récolte: les recherches sur le terrain

 Les recherches sur le terrain offre la possibilité de comparer ce qui est autorisé par la loi, en vertu des permis et de la réglementation, avec ce qui se passe en réalité et qui le fait. Bien que d’une valeur inestimable, comme nous allons le voir, les recherches de terrain présentent des risques importants en termes de sécurité que les autres étapes de recherche ne présentent pas.

Avant de débuter les recherches de terrain, il est essentiel de rassembler et d’analyser autant d’informations que possible à partir des permis. Ces dernières serviront de référence à partir desquelles mesurer les informations rassemblées sur le terrain.  Les étapes à réaliser systématiquement avant de commencer les recherches de terrain sont les suivantes : la comparaison des permis avec la réglementation, l’examen du contenu des permis et l’analyse des images satellites. Ces étapes permettront de s’assurer que le processus est dûment informé et qu’il peut être planifié efficacement. Par exemple, si l’examen des permis indique que les clauses sociales n’ont pas été respectées, l’une des priorités des recherches sur le terrain sera de rassembler des informations et des témoignages dans ce sens auprès des communautés. Si l’analyse des images satellites indique que la forêt a été défrichée au-delà des limites de la concession, la priorité sera de visiter les zones concernées pour obtenir des images géo-référencées du défrichement. Dans la plupart des cas, comme dans ces deux exemples, l’analyse préalable aidera à guider le travail de terrain et aidera les enquêteurs à comprendre et interpréter les éléments de preuve qu’ils trouveront.

Les recherches sur le terrain offrent aussi l’occasion de combler les lacunes dans les données disponibles là où il n’a pas été possible d’obtenir des informations sur les permis ou d’analyser les images satellites. Alors qu’il peut être difficile, voire impossible, d’obtenir les permis par les canaux officiels, les communautés locales autour des zones exploitées en disposent parfois avec d’autres documents intéressants.

Certains types d’infractions ne peuvent pas être repérés sans recherches sur le terrain. Il est par exemple essentiel de fournir des preuves d’infractions opérationnelles dans les concessions d’exploitation sélective, comme la récolte d’arbres sous diamètre ou d’essences protégées. Dans d’autres cas, les recherches sur le terrain permettent de confirmer des présomptions d’infractions ayant émergé au cours d’autres étapes. Par exemple, si l’analyse satellite montre qu’il y a eu défrichement en dehors des limites de la concession, le travail de terrain peut prouver qu’il a été effectué par le concessionnaire, et que le bois provenant de ce défrichement est blanchi en l’intégrant à la récolte « légitime ».

Le stade des recherches sur le terrain est peut-être le premier où il peut y avoir un risque important de « surcharge d’informations ». Alors que l’évaluation des permis et de la réglementation sont souvent compliquée par le manque d’accès aux données requises, le travail de recherche sur le terrain peut créer, au contraire, un déluge d’images, de vidéos, de points GPS, de témoignages, de documents supplémentaires et d’observations d’ordre général. En conséquence, il est essentiel de bien planifier, préparer et cibler les recherches, tout comme la gestion des données, avant et après les visites de terrain.

La planification

Alors que l’obtention des permis et l’analyse des cartes peut se faire sur plusieurs semaines ou plusieurs mois, les recherches sur le terrain se déroulent sur une fenêtre de temps beaucoup plus étroite, et il n’existe souvent qu’une seule chance de pouvoir les réaliser. Ceci est dû en partie aux problèmes logistiques et aux coûts que représente la visite de régions reculées et en partie aux risques que cela représente. Passer des périodes de temps excessivement longues dans le voisinage de zones d’exploitation forestière présente un risque non seulement pour les chercheurs, mais aussi pour les communautés qui peuvent leur fournir des preuves ou être en conflit de longue date avec les sociétés. Il sera donc essentiel de cultiver et d’utiliser des informateurs locaux.

La planification des recherches de terrain doit être systématique. Autant de décisions que possible concernant l’objectif, l’itinéraire, la logistique et la sécurité doivent être prises avant le voyage. Il est inévitable que des décisions soient prises au fur et à mesure qu’émergent de nouvelles informations, ce qui peut conduire à dévier considérablement du plan initial. Mais le processus doit être maîtrisé à tout moment et jamais improvisé. Les étapes ci-dessous sont essentielles:

Identifier les types d’infractions qui nécessitent un examen plus approfondi sur le terrain, en se basant sur l’analyse des étapes précédentes.

Définir quelles sont les preuves nécessaires pour appuyer les hypothèses et comment elles peuvent être obtenues.

Définir quelles autres informations à rechercher pourraient fournir des indications sur d’autres infractions (pas encore repérées).

Préparer un document résumant toutes les pistes potentielles à suivre.

Rassembler une équipe d’enquêteurs, comprenant idéalement des personnes qui connaissent la zone et des personnes qui parlent les langues locales utilisées dans la zone concernées.

Utiliser les cartes, les images satellites et si possible les connaissances du terrain pour définir le meilleur itinéraire pour examiner tous les indices.

Dans l’idéal, des contacts devraient être pris avec les communautés locales ou d’autres personnes avant le voyage. Le mieux est d’utiliser un intermédiaire qui a des contacts sur place et qui pourra aussi agir comme médiateur au cours des recherches sur le terrain. Il peut fournir des informations sur le paysage, les parties prenantes locales, les risques et d’autres questions logistiques pouvant faciliter la planification. S’il n’est pas possible d’identifier un tel intermédiaire, le travail de terrain devrait procéder par étape, en parlant aux communautés et à d’autres informateurs de plus en plus près de la zone ciblée. Cela permet de développer les connaissances sur les conditions locales dans des zones présentant un risque moindre.

Dans le scénario idéal, les communautés représentent un appui fiable sur lequel on peut compter pour obtenir des informations et faciliter l’accès à la zone. Elles fournissent une source incomparable d’informations sur le contexte local et les activités des sociétés. Elles sont, de plus, parfaitement sensibles aux dangers existants. Elles sont souvent capables de faciliter l’accès aux concessions ou d’agir comme guide dans les forêts. Toutefois, impliquer les communautés de quelque façon que ce soit dans les recherches sur le terrain peut représenter un risque considérable pour elles. Contrairement aux chercheurs qui sont amenés à quitter la zone, les communautés, elles, resteront sur place et peuvent faire l’objet de représailles. Dans le passé, des activistes autochtones ont été tués par des personnes protégeant les intérêts des exploitants forestiers. Aussi le risque ne doit pas être sous-estimé. Toute tentative d’approche des communautés doit prendre ce risque en considération.

Il faut également prendre en compte le fait que certains membres de la communauté sont employés par les exploitants forestiers ou autres sociétés et peuvent avoir des affiliations étroites avec la police ou le gouvernement local.

L’itinéraire sur le terrain devrait prendre en compte les périodes où il est possible d’accéder aux villages et par quel chemin. Les points d’entrée dans la concession peuvent également être identifiés. Pour produire un plan d’atténuation des risques, il est important de se faire une idée du temps que prendra le travail sur le terrain et de laisser suffisamment de temps pour les imprévus.

Les sociétés d’exploitation forestière construisent et détiennent de fait les pistes forestières le long desquelles elles installent parfois des postes de contrôles, leur permettant de contrôler les passages vers la zone ciblée. Elles autorisent cependant souvent les populations locales à utiliser leurs routes et à passer les postes de contrôle, ce qui renforce l’importance des intermédiaires locaux. Les sociétés ont aussi des liens avec les représentants locaux de la police et de l’armée (et parfois même elles exercent un contrôle corrompu sur eux). Dans de nombreux cas, elles utilisent ces organisations d’État comme des forces privées pour intimider, agresser et arrêter des membres de la communauté locale ou autres qui cherchent à enquêter ou protester contre leurs activités. Ces facteurs doivent être pris en compte lors de la planification et de la constitution d’un plan d’atténuation des risques [voir Risque : Atténuer les risques sur le terrain].

La collecte des données:

Les données collectées au cours des recherches sur le terrain peuvent tomber dans l’une des trois catégories suivantes:

  • Preuve écrite
  • Preuve orale (témoignage)
  • Preuve visuelle géo-référencée
Les preuves écrites:

Les communautés locales ont parfois certains documents à leur disposition. Comme cela a été mentionné plus haut, elles obtiennent parfois auprès des sociétés d’exploitation les permis ou d’autres informations que les enquêteurs n’ont pas pu obtenir auprès d’autres sources. Les documents dont disposent les communautés locales sont souvent des évaluations d’impact environnemental et de contrats qui comprennent des clauses sociales. Il peut être nécessaire de photographier ces documents car les communautés voudront certainement les conserver. Les panneaux installés par les sociétés peuvent également fournir des informations utiles.

Les entretiens:

Beaucoup d’informations peuvent être obtenues en s’entretenant de façon formelle ou informelle avec les membres des communautés. Il est possible que ces informations fournissent des preuves d’infractions et elles peuvent sans aucun doute guider les étapes suivantes sur le terrain. Ces entretiens peuvent notamment permettre de mieux comprendre les nuances des infractions plus complexes à la loi. Par exemple, les violations du droit des communautés à être consultées au cours des EIA ou les manquements des sociétés à leurs obligations légales vis-à-vis des communautés.

La nécessité de se concentrer sur ce type d’infractions devrait être établie au préalable et les entretiens devraient s’appuyer sur une bonne compréhension du type de témoignages qui peut étayer les indices. Dans certains cas, notamment lorsque le témoignage est essentiel pour prouver une infraction, il est souhaitable de filmer ou d’enregistrer les entretiens. Que ce soit le cas ou non, les enquêteurs devraient s’entendre clairement avec les membres de la communauté concernés sur la façon dont les témoignages peuvent être utilisés. Dans de nombreux cas, si les preuves provenant des communautés et pouvant leur être attribuées sont rendues publiques, cela représente un risque élevé pour elles. Les enregistrements audio devraient être vérifiés sur le terrain pour s’assurer que les témoignages sont clairement audibles.

Même lorsque les témoignages ne comportent aucune preuve d’infractions, ils peuvent fournir une vision claire des effets nuisibles de l’exploitation forestière sur les communautés et être utilisés pour procéder à des dénonciations qui n’ont aucun aucune composante légale.

Les commentaires des employés des sociétés sont une autre source d’informations. Ils doivent bien sûr être contactés avec prudence. Mais dans certains cas, au cours des recherches sur le terrain, les enquêteurs peuvent se trouver dans des situations de conversation à faible risque avec des employés qui peuvent fournir de nombreuses informations sur les activités de la société dans la zone de récolte et sur la destination du bois récolté [voir Étude de cas 2]. Dans de tels cas, il peut être nécessaire d’enregistrer clandestinement leur témoignage (voir L’enregistrementclandestin des preuves).

Les preuves visuelles géo-référencées:

La capacité de mettre le doigt sur « ce qu’il se passe », « là où ça se passe » est essentielle dans les recherches sur le terrain. Les preuves photographiques et vidéo donnent des informations sur « ce qu’il se passe ». Les outils de positionnement géographique (GPS) indiquent « où ça se passe ». Les appareils GPS fonctionnent en donnant les coordonnées de l’endroit où se trouve l’appareil. Grâce aux signaux d’au moins trois satellites, ils indiquent la localisation géographique en latitude et longitude et le degré de précision. La précision dépend du nombre de facteurs mais les appareils donnent en moyenne l’emplacement à 15 m près.

Les appareils GPS sont faciles à utiliser avec un minimum de formation et, utilisés en parallèle avec un appareil photo, ils peuvent fournir des preuves irréfutables de ce qu’il se passe dans un endroit donné [voir GPS, Photographie et Open Data Kit]. Une bonne collecte de données à l’aide de photographies repose sur l’utilisation simultanée d’un appareil GPS. Sinon, les informations sont séparées et peuvent être réfutées. Certains appareils photos sont maintenant équipés d’un GPS et les téléphones portables font également double usage. Associer images et localisation est essential pour démontrer les infractions opérationnelles telles que l’exploitation en dehors des limites des concessions, la récolte d’essences protégées ou l’exploitation dans les mauvaises zones. Ce procédé a été utilisé efficacement au Cameroun et a donné lieu à des poursuites engagées aux Pays-Bas en vertu du règlement bois de l’UE [voir Étude de cas 4].

Au cours des recherches sur le terrain, les enquêteurs devraient non seulement s’assurer que sont prises des photos d’infractions confirmées et potentielles, mais aussi d’autres informations qui pourraient être utiles comme des panneaux indiquant les sociétés et les sous-traitants. En plus des appareils GPS, il peut également être utile d’inclure sur la photo un véhicule, une personne ou d’autres objets afin de donner une échelle à la photo, comme par exemple dans le cas d’un glissement de terrain à proximité d’une route ou d’une souche d’un diamètre inférieur au diamètre minimum autorisé.

Les enquêteurs devraient garder à l’esprit que l’utilisation d’appareils photographiques ou de caméras attire davantage l’attention et donc aussi les risques [voir Risque : L’atténuation des risques au cours des recherches de terrain].

Les étapes suivantes

Le bois est transporté à partir des sites d’exploitation forestière par camion et généralement rassemblé dans des points de collecte à l’intérieur de la zone de récolte, avant d’être amené plus loin. De là, le bois peut être transporté par la route directement vers une scierie ou un port, mais plus généralement il est acheminé vers le cours d’eau navigable le plus proche et déplacé sur des barges ou flotté en train directement sur la rivière. Dans certaines régions, les grumes sont centralisées sur des têtes de ligne ferroviaires et transportées en train. Même s’il est parfois possible de suivre physiquement les camions pour connaître leur destination, d’autres méthodes sont habituellement nécessaires pour faire le lien entre les grumes au point de récolte et celles au point de transformation et d’exportation. Des traqueurs GPS, attachés aux camions, aux barges ou aux grumes individuelles, ont été utilisés efficacement pour suivre le bois à partir du point de récolte [voir Étude de cas 8]. Souvent, il est également possible de faire le lien en cherchant un marquage donné sur les grumes [voir Le marquage de grumes] dans les scieries voisines, les scieries en aval et les scieries considérées de façon générale comme utilisant probablement le bois. Toutefois dans de nombreux cas, il sera nécessaire d’utiliser les traces écrites pour suivre le bois [voir Section 9].

Après le travail sur le terrain

Etant donné le peu de temps dont disposent généralement les enquêteurs sur le terrain et le volume d’informations potentiellement disponible, il est essentiel de pratiquer une bonne gestion des données. Au retour d’une visite de terrain l’enquêteur disposera généralement de centaines de photos, de douzaines de points GPS enregistrés sur l’appareil GPS, des pages entières de notes et potentiellement des enregistrements d’entretiens avec les communautés. Afin que ces données puissent devenir des preuves, il est essentiel de mettre en place un système de gestion des données sur le terrain, et de les traiter rapidement au retour. L’importance de ce processus ne saurait être sous-estimée. Si un dossier d’exploitation illégale des forêts est porté devant les tribunaux, des données mal organisées et mal gérées pourraient être irrecevables.

Une fois que les preuves principales (telles que des images numérisées) sont enregistrées, copiées et sauvegardées, l’analyse peut commencer. Après les recherches sur le terrain, les données géo-référencées peuvent être ajoutées sur les cartes existantes afin de présenter une image plus claire de la zone d’exploitation. C’est à ce moment-là que Google Earth ou des logiciels spécialisés de SIG s’avèrent plus utiles que Global Forest Watch, car les données GPS peuvent être téléchargées et comparées avec les données contextuelles et notamment les cartes des concessions. Cela permet l’identification des infractions opérationnelles telles que l’exploitation en-dehors des limites. Les images fournissant des preuves doivent être comparées aux données GPS et enregistrées sous un format permettant de les ouvrir facilement.

Les enquêtes de Greenpeace au Cameroun ont montré l’efficacité de ces simples comparaisons [voir Étude de cas 4]. La même méthode a été employée par Greenpeace pour intégrer des techniques plus complexes dans le suivi de ces enquêtes sur l’exploitation illégale dans l’État du Pará au Brésil. Dans ce cas, la preuve était étayée par les données de traqueurs GPS placés sur des grumiers, outil qui a fourni des informations sans précédent sur le blanchiment d’essences à forte valeur commerciale [voir Étudede cas 8].

Les points à relier et les étapes suivantes

Pour compléter un ensemble d’informations et atteindre un certain niveau de preuve, il peut être nécessaire de répéter plusieurs fois le cycle « collecte des données – analyse de cartes – recherches sur le terrain ». Si des preuves claires ou des débuts de preuve ont été établis, l’étape suivante sera de déterminer où va le bois à partir du point de récolte. Mais dans certains cas, même des enquêtes approfondies sur le terrain ne parviennent pas à établir des preuves claires. C’est surtout le cas lorsque les coupables sont un groupe important d’individus agissant individuellement sans apparaître organisés, ou lorsque le  bois est blanchi. Il se peut aussi que le manque de transparence soit tel qu’il soit impossible d’obtenir des permis et des cartes, ou que les risques ou les difficultés logistiques ne permettent pas de réaliser des enquêtes rigoureuses.

Dans tous ces cas, il est possible d’enquêter différemment sur le commerce illégal du bois en déplaçant l’enquête en aval et en identifiant la destination du bois, soit par l’observation physique ou le suivi GPS, soit en suivant sa trace écrite. Le bois peut être récolté de façon légale mais devenir ensuite illégal, en aval, en raison de la violation d’autres réglementations gouvernant le transport, la transformation ou le commerce du bois.

8. Le transport, la transformation et le commerce du bois

Le passage entre le point de récolte et le point d’exportation peut être simple ou complexe. Dans certains pays comme le Laos, le bois est chargé sur des camions près du point de récolte et amené directement à un point de passage des frontières. Dans d’autres pays, la chaîne d’approvisionnement peut comprendre de nombreuses étapes auxquelles participent de nombreux individus et entités. En Indonésie, par exemple, le bois abattu en Papouasie peut subir une première transformation, puis être transporté par bateau jusqu’à l’île de Java, vendu à des fabricants de meubles et exporté par un agent.

Enquêter sur cette étape de la chaîne d’approvisionnement offre deux avantages. D’abord, l’enquête peut permettre de connaître les mouvements de bois d’un point de récolte illégale à un point d’exportation, à partir duquel il peut être suivi jusqu’aux marchés sensibles. Elle peut aussi permettre d’identifier des infractions qui ne sont pas liées à l’étape de la récolte du bois. Le transport, la transformation, le commerce et l’exportation du bois sont soumis à des réglementations qui visent à assurer que les produits sont taxés correctement et à soutenir la gestion des forêts grâce à des mécanismes situés en aval. La violation de ces réglementations est couverte par la définition de la légalité dans le RBUE et la loi Lacey. Les poursuites qui ont abouti en vertu de la loi Lacey portaient sur des infractions commises à ce stade de la chaîne d’approvisionnement. Même lorsque le bois est récolté légalement, il devient illégal si les règles sont enfreintes plus loin dans la chaîne d’approvisionnement.

Les infractions au cours du transport, de la transformation et du commerce

Les infractions relatives au transport

Dans la plupart des cas, la loi exige qu’une fois le bois récolté les grumes soient marquées, souvent à l’aide de marteaux forestiers conçus à cet effet [voir Lemarquage des grumes]. Il s’agit communément d’assurer un certain degré de traçabilité de la source le long de la chaîne d’approvisionnement. Certains régimes de récolte comprennent la vérification par des employés de l’État qui produisent des documents attestant la légalité de la récolte. Cela permet également de contrôler le respect des inventaires forestiers et des plans de coupe, pour s’assurer que les sociétés ne surexploitent pas la forêt.

L’utilisation de titres de transport de bois est également courante. Délivrés par les autorités, ces documents devraient suivre le bois à partir du point de récolte. En Indonésie, par exemple, le bois provenant des forêts naturelles devrait être accompagné d’un certificat de légalité, joint à une liste de grumes. Ce type de document est conçu pour éviter le transport de bois tout en permettant aux autorités de comparer la récolte légale à la matière première utilisée pour la transformation. Les titres officiels de transport de bois et les marquages ne sont souvent obligatoires que pour les grumes, mais dans certains pays ils sont également obligatoires pour le bois de deuxième transformation, tel que le bois scié.

Le marquage des grumes et les titres de transport sont souvent associés à l’illégalité. Dans de nombreux cas, les grumes ne sont pas du tout marquées. Au Cameroun, Greenpeace a documenté l’existence de grumes marquées alors que leur récolte était illégale [voir Étude de cas 4]. En Indonésie, JPIK a identifié des sociétés se procurant du bois illégalement dans des forêts communautaires et le transportant vers des scieries sans document de transport [voir Étude de cas 5].

L’utilisation de titres de transport illégaux est également un moyen de faciliter la surexploitation ou d’autres infractions à la loi. Au Pérou, les documents de transport sont dupliqués et falsifiés pour permettre le blanchiment de bois récolté illégalement en utilisant les titres de concessions pour lesquelles il existe un droit « légitime » de récolter [voir Étude de cas 6]. En République du Congo, le blanchiment est facilité de manière similaire par la duplication des numéros de souches et de grumes. Au Cameroun, des titres de transport frauduleux associés aux forêts communautaires sont utilisés pour blanchir du bois illégal. Dans certains États, des interdictions sont posées sur le transport domestique des produits, ou de certains produits, comme par exemple l’interdiction de transporter des grumes par bateau vers une autre province. 

Les violations au cours de l’étape de transformation

Les unités de transformation, y compris les scieries en amont et les usines en aval, sont soumises à un régime réglementaire différent de celui qui régit la source du bois qu’elles utilisent. Pour fonctionner, les scieries doivent disposer de permis en cours de validité délivrés par les autorités responsables des forêts. Elles peuvent aussi faire l’objet d’audits réguliers. Le bois qui a été récolté ou vendu légalement peut devenir illégal s’il est transformé dans un établissement qui viole la réglementation en cours.

Les infractions relatives à l’exportation

Dans un effort visant à supprimer la surexploitation et à soutenir les industries de transformation nationales, de nombreux États ont mis en place des interdictions ou des restrictions sur l’exportation de grumes non transformées, et dans certains cas aussi sur les exportations de bois brut de sciage. Certains États, comme le Brésil et l’Indonésie, ont interdit purement et simplement les exportations de grumes brutes. Ailleurs, les choses sont plus compliquées ce qui facilite le contournement des restrictions.

Au Laos, par exemple, les exportations de grumes sont interdites de jure, mais le gouvernement se réserve le droit d’exempter certaines cargaisons spécifiques. En réalité, les exportations de grumes sont la norme, et les décisions ou le fondement juridique derrière ces exemptions ne sont pas clairs. En République du Congo, la réglementation limite la proportion de la récolte que chaque société a le droit d’exporter sous forme de grumes non transformées, mais une autorisation spéciale peut être obtenue pour accroître cette limite. Dans la pratique, la proportion de grumes exportées est régulièrement supérieure au volume de bois transformé exporté. Dans certains États comme le Mozambique, l’interdiction d’exporter des grumes est limitée à certaines essences (en général des essences prisées).

Il est courant pour les sociétés de violer ces contrôles à l’exportation, souvent avec la complicité de fonctionnaires de l’État. Le bois peut être exporté dans des conteneurs et être faussement déclaré. Des grumes peuvent être transportées clandestinement sur de petits bateaux, puis transférées sur des navires en mer ou dans des pays voisins. Á l’arrivée à destination, le bois illégal peut être faussement déclaré comme provenant d’ailleurs, et être accompagné de tout un ensemble de faux documents.

L’évasion fiscale

Les pratiques qui permettent aux sociétés de dissimuler l’origine illégale du bois peuvent également être utilisées pour minimiser leur charge fiscale. Les sociétés peuvent échapper à la taxe d’abattage en déclarant des volumes d’extraction moindres ou en faisant de fausses déclarations d’essences. Les mêmes méthodes sont utilisées pour échapper aux droits de douanes (qu’ils soient généraux ou spécifiques aux produits du bois). En 2012, par exemple, les autorités de la République du Congo estimaient qu’en un seul mois, 12 sociétés avaient manqué de déclarer presque 4 500 m3 de grumes, d’une valeur commerciale de 2,5 millions d’Euros.[i]  Plus répandue que les fausses déclarations portant sur les volumes au point d’exportation et plus difficile à détecter, la fausse déclaration des prix payés est une autre méthode pour échapper aux taxes. Plus difficile encore à détecter, la manipulation des prix de transfert consiste à facturer et recevoir des paiements plus bas que leur vraie valeur de la part de sociétés affiliées. En 2008 par exemple, Greenpeace a divulgué des documents internes d’une société forestière multinationale basée en Suisse indiquant qu’au début des années 2000, la société manipulait systématiquement les prix des exportations de grumes en provenance de la République démocratique du Congo et de la République du Congo. Greenpeace a estimé que cette pratique représentait un manque à gagner de 10 millions de dollars américains pour les gouvernements de ces deux pays.[ii]

Les infractions à la CITES

La Convention des Nations Unies sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) impose le contrôle du commerce international de certaines espèces. Les espèces menacées d’extinction si elles continuent de faire l’objet d’un commerce international non régulé peuvent être ajoutées à l’une des trois annexes de la convention, permettant ainsi des restrictions sur leur transport transfrontalier. Pour les États qui ont du mal à faire appliquer les lois du pays, la CITES présente l’avantage, en tant qu’accord international, d’être applicable non seulement dans le pays d’origine, mais aussi dans les pays destinataires ou pays qui leur servent de marché.

Par définition, la CITES règlemente le commerce des essences de bois qui sont de plus en plus rares et par extension, souvent les plus prisées. Parmi ces essences, on trouve plusieurs Dalbergia, recherchés en tant que bois de rose précieux, ainsi que le bois d’acajou. Pour pouvoir exporter certains produits utilisant des essences inscrites aux annexes de la CITES, les sociétés doivent d’abord obtenir un permis d’exportation auprès de l’organe de gestion de la CITES du pays d’origine. Les permis d’exportation ne peuvent être délivrés qu’à condition que le bois ait été obtenu légalement et (pour l’annexe II) si l’exportation « ne nuit pas à la survie de l’espèce ».[iii] Ces essences bénéficient donc d’une plus grande protection et surveillance mais font fréquemment l’objet d’infractions.

Le bois assujetti aux contrôles de la CITES mais pour lequel les documents requis n’existent pas peut faire l’objet d’un trafic clandestin de trois façons différentes : en utilisant de fausses déclarations faisant passer le bois pour une essence différente, en utilisant de fausses déclarations le faisant passer pour un produit d’une catégorie non listée, ou encore en exportant des cargaisons plus importantes que ce qui est autorisé par le permis. Même lorsque les cargaisons font l’objet d’un permis de la CITES, les infractions sont fréquentes. Des permis peuvent être obtenus frauduleusement, ils peuvent aussi être délivrés de façon corrompue ou encore être tout simplement falsifiés. Ces pratiques ont été observées ces dernières années au Pérou et en République démocratique du Congo pour des essences inscrites aux annexes de la CITES [voir Étude de cas 6]. Les cargaisons faisant l’objet d’un permis de la CITES valide sont exemptées du RBUE.

[i] http://rem.org.uk/documents/FM_REM_CAGDF_OIFLEG_Briefing_Note_3.pdf

[ii] Greenpeace International, Conning the Congo, July 2008, http://www.greenpeace.org/international/Global/international/planet-2/report/2008/7/conning-the-congo.pdf

[iii] https://cites.org/eng/disc/how.php

9. L’enquête sur le transport, la transformation et le commerce

Les traces écrites

Tout au long de son trajet du point de récolte au point d’exportation, le bois doit être accompagné de documents attestant de son origine. L’étendue et la complexité de ce système de chaîne de contrôle varie d’un pays à l’autre. Au Brésil, par exemple, il existe une base de données électronique de « crédits » qui sont échangés entre producteurs tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Dans d’autres pays, le système existe de manière prédominante sur papier et ne couvre pas nécessairement la transformation secondaire. L’analyse de ces données peut fournir les preuves de violations tout au long de la chaîne d’approvisionnement et permettre aussi de faire le lien entre le bois récolté illégalement et les exportations.

Au Brésil, par exemple, Greenpeace a pu identifier les scieries qui avaient acheté du bois faisant l’objet de crédits provenant de régions dans lesquelles des infractions avaient été commises. A partir des scieries, ils ont pu identifier les sociétés qui vendaient du bois à l’exportation [voir Étude de cas 8].

En Indonésie, ce sont les plans de matière première produits par les scieries qui permettent de faire le lien entre la récolte et les scieries. Ces plans indiquent, pour chaque année, la source des grumes que les sociétés de transformation ont prévu d’utiliser l’année suivante et justifient rétrospectivement la base d’approvisionnement de l’année précédente. Le nom des sociétés y est indiqué, et peut comprendre des concessions dans lesquelles des infractions opérationnelles ou d’autres formes d’exploitation illégale ont été identifiées. Le bois peut potentiellement être suivi de la scierie jusqu’au marché grâce à plusieurs méthodes, y compris des réunions sous couvert, ou il peut faire l’objet d’un rétro suivi à partir du marché (voir section suivante). L’accès à ces données devrait être facilité par le succès du procès de Forest Watch Indonesia contre le ministère de l’Environnement et de la Forêt, jugé en vertu de la loi indonésienne sur l’information du public [voir Liberté d’information].

Quand ils sont accessibles, les permis d’exportation de la CITES remis aux exportateurs sont une autre source d’information utile. Les informations présentées par les permis d’exportation de la CITES délivrés au Pérou ont, par exemple, été recoupées avec les informations des rapports officiels des organisations étatiques chargées de faire appliquer la loi. Cela a permis l’identification de plus de 100 exportations liées à des forêts dans lesquelles des activités illégales avaient été relevées [voir Étude de cas 6]

La possibilité de reproduire ce type d’investigations dépend de la disponibilité de différents ensembles de données, de leur accessibilité et de leur fiabilité. Des enquêtes aux Brésil et au Pérou montrent que, si les données sont disponibles, les infractions complexes à la source, le blanchiment et les chaînes d’approvisionnement opaques peuvent être reliés aux exportations.

Le travail d’observation sur le terrain

Dans les États où les données ne sont pas disponibles, de qualité insuffisante ou encore dissimulées derrière un mur administratif, il est possible de faire la lumière sur la chaîne d’approvisionnement grâce à des observations directes. Suivre physiquement les grumes à partir de leur source sur toute la chaîne d’approvisionnement est logistiquement difficile, voire impossible. Mais le marquage des grumes [voir Le marquage des grumes] peut faciliter l’identification de l’origine du bois en aval, et jusque sur les marchés d’autres continents.

Du bois acheté par l’armée vietnamienne a été suivi par l’EIA tout au long de la chaîne d’approvisionnement, des forêts du Laos au point de passage des frontières et au-delà, en utilisant des plaques de marquages qui lui sont propres. La même méthode peut être utilisée dans d’autres pays, à condition que les sociétés et les autorités utilisent les marquages individualisés requis par la loi et que les enquêteurs sachent les déchiffrer.

Cette méthode peut être utilisée quand l’enquête commence à ce stade et qu’elle a pour but d’identifier les infractions dans le transport et les exportations, plutôt que les infractions au point de récolte. Par exemple, l’EIA a mis en évidence et documenté les violations des restrictions sur les exportations de grumes via la frontière avec la Chine au nord du Myanmar, sans suivre le bois en amont jusqu’au point de récolte [voir Étude de cas 7].

Il est également possible pour les enquêteurs d’obtenir des informations auprès des chauffeurs de grumiers ou des personnes qui vivent ou travaillent le long des voies de transport du bois. Ces conversations devraient être menées avec prudence mais elles peuvent être fructueuses pour déterminer la provenance du bois ou sa destination. De jeunes ouvriers peuvent également être abordés individuellement sur les chantiers forestiers, les parcs à bois ou les restaurants. Dans ce cas, il est essentiel d’avoir une histoire de couverture pour justifier la présence des enquêteurs dans la zone et leur intérêt pour les activités d’exploitation forestière. Si les enquêteurs se font passer pour des touristes, il est raisonnable qu’ils posent des questions par curiosité, mais leurs questions ne doivent pas être trop détaillées ou inquisitrices. Si les enquêteurs sont ou pourraient être pris pour des personnes de la région, ils peuvent prétendre vouloir trouver du travail dans la société d’exploitation ou de transport, ce qui peut justifier des questions inquisitrices.

En fonction de l’itinéraire et de la nature de l’enquête, il devrait être possible de déterminer avant de partir sur le terrain si de telles conversations ou interactions sont probables. La préparation du voyage devrait comprendre la prise de décisions sur ce sujet [voir Risque: L’atténuation des risques sur le terrain]. Il peut être souhaitable d’enregistrer clandestinement ce type de conversations, si le matériel disponible permet de le faire en toute sécurité [voir L’enregistrementclandestin des preuves].

Même lorsque les traces écrites ont donné des preuves claires d’infractions et permis de comprendre les liens le long de la chaîne d’approvisionnement, les observations sur le terrain peuvent fournir de plus amples renseignements. Ces recherches de terrain devraient être considérées comme la deuxième phase des enquêtes de terrain abordées dans la section 7, L’enquête sur la récolte. Elles demandent le même type de préparation, d’approche et d’atténuation des risques [voir Risque: L’atténuation des risques sur le terrain].

Les recherches de terrain peuvent être particulièrement efficaces quand les chaînes d’approvisionnement du bois sont consolidées, c’est-à-dire quand ce sont les mêmes sociétés qui exploitent la forêt et qui vendent directement le bois sur les marchés d’exportation. On trouve ce cas de figure en République démocratique du Congo, par exemple, où Greenpeace a identifié des sociétés qui exploitent la forêt illégalement et vendent des grumes et du bois de sciage directement aux pays européens et aux États-Unis. Le lien avec le marché a été fait grâce à des opérations sous couvert et en interrogeant les données du commerce [voir section 10 : Le suivi en aval vers les marchés finaux] mais le travail d’observation dans les ports peut fournir des pistes pour les étapes suivantes de l’enquête.

Les enquêtes sous couvert

Les enquêtes sous couvert sont les plus efficaces à ce stade de la chaîne d’approvisionnement. Se faire passer pour un négociant en bois s’est avéré très efficace pour Global Witness, EIA, Earthsight et d’autres au cours des 20 dernières années. Ce type d’enquêtes a fourni des informations qui ont permis de révéler le fonctionnement interne de la corruption et fourni un aperçu sans précédent de la nature du commerce illégal.

Toutefois, il faut avoir certaines connaissances, des compétences et une certaine expérience pour tenir des réunions en tête à tête et procéder à des visites de sociétés, sous couvert. Cela comporte aussi un risque important. En conséquence, ce type d’enquête sous couvert ne devrait pas être réalisé sans avoir reçu une certaine formation auprès d’experts en la matière. Par contre, lorsqu’elles sont réalisées à distance par téléphone ou email, ces méthodes sous couvert peuvent être utilisées sans formation particulière. En 2010, par exemple, des recherches téléphoniques sous couvert ont aidé à faire le lien entre des fournisseurs en Indonésie et en Grande-Bretagne [voir Étude de cas 11].

À ce stade des recherches, un profil de société devrait avoir été constitué pour toute société concernée et devrait comprendre ses coordonnées [voir Dresser le profil d’une société]. Quand ces informations ont été rassemblées, les enquêteurs peuvent contacter la société sous couvert et en toute sécurité (par téléphone ou email). Les enquêteurs peuvent choisir de se faire passer pour un acheteur ou vendeur de bois potentiel, un journaliste ou un chercheur universitaire. Il est essentiel de faire des recherches approfondies avant de choisir et de développer une histoire factice [voir Développer une histoire factice à utiliser dans une enquête sous couvert].

Le type d’informations que l’on peut obtenir en contactant les sociétés de cette façon sont les suivantes:

  • Les essences qu’elles utilisent.
  • Les produits qu’elles vendent.
  • Les volumes qu’elles vendent.
  • L’origine du bois qu’elles utilisent dans leurs produits.
  • À qui ou à quels pays/régions elles vendent.
  • La mesure dans laquelle leur chaîne d’approvisionnement est intégrée. Par exemple, si elles récoltent du bois en amont et/ou exportent en aval.

Des mesures devraient être prises pour que l’identité réelle des enquêteurs ne puisse pas être découverte. Ces derniers ne devraient utiliser ni leur vrai nom, ni leur adresse e-mail ou leur numéro de téléphone personnels. Il convient de bien noter toutes les communications ayant eu lieu avec les sociétés et les données obtenues par ce biais devraient être cataloguées avec soin pour référence ultérieure. Pour les méthodes qui peuvent être utilisées pour enregistrer les interactions ayant lieu sous couvert, voir L’enregistrement clandestin de preuves.

10. Le suivi en aval jusqu’au marché final

Il existe tout un éventail d’informations qui peuvent être utiles pour améliorer l’efficacité du RBUE et de la loi Lacey, mais dans l’idéal une enquête indépendante devra établir un lien avec l’UE ou les États-Unis.

Le point de départ : le point d’exportation ou le marché

Il existe deux méthodes pour établir les liens entre le bois illégal dans le pays d’origine et le pays de destination : le suivi à partir de la source et le suivi à partir de la destination :

  • COMMENCER À LA SOURCE: Suivre des produits spécifiques d’origine illégale ou suspectés de l’être à partir d’un pays producteur jusqu’à un pays consommateur.
  • COMMENCER À PARTIR DE LA DESTINATION: Suivre des produits à haut risque à partir du produit consommateur et remonter jusqu’à leur source, pour vérifier s’ils sont ou pourraient être illégaux.

Il peut être nécessaire et fructueux d’employer les deux approches. Par exemple, si les efforts pour suivre la chaîne d’approvisionnement d’un produit spécifique à partir du pays d’origine s’avèrent inefficaces, il pourra être nécessaire de se rabattre sur l’approche consistant à faire le lien avec la même chaîne d’approvisionnement en suivant les produits concernés en remontant vers le pays d’origine.

Jusqu’où suivre la chaîne d’approvisionnement?

Jusqu’où retracer la chaîne d’approvisionnement dans le pays consommateur, après l’importation, dépendra de la loi utilisée et du but des recherches. Dans l’UE, l’élément clé du RBUE ne s’applique qu’aux sociétés qui vendent le produit dans l’UE pour la première fois (le « premier à mettre sur le marché »).[i] Aucune mesure ne peut être prise à l’encontre de sociétés se trouvant plus loin le long de la chaîne d’approvisionnement. Toutefois, il peut être utile de mener des recherches plus loin afin de « dénoncer et blâmer» d’autres sociétés achetant du bois auprès du premier à mettre le produit sur le marché.

Si les recherches commencent à partir du marché, il se peut que l’identification des importateurs de certains produits ne puisse se faire qu’en remontant la chaîne d’approvisionnement à partir des détaillants.

Commencer à la source

L’obtention d’informations à partir des registres de marchandises

Dans certains cas, des informations sur les acheteurs étrangers peuvent être obtenues auprès des gouvernements des pays producteurs. Les documents officiels relatifs aux exportations et soumis aux agences gouvernementales (y compris les déclarations en douane et les permis spéciaux comme les permis d’exportation de la CITES) ou les informations qu’ils contiennent peuvent être obtenus, le cas échéant, sur requête officielle en vertu des lois sur la liberté d’information [voir Libertéd’information]. Toutefois, il est probable que même là où il existe des lois sur la liberté d’information, l’identité des acheteurs sera considérée comme commercialement confidentielle et exemptée.

Pour certains pays, il est possible d’avoir accès à des informations détaillées sur les cargaisons individuelles de bois et produits dérivés à partir de bases de données des marchandises. Elles comprennent généralement une description des biens dans chaque cargaison, la quantité et l’identité du fournisseur (« l’expéditeur ») et souvent aussi de l’acheteur (« destinataire »). Ces bases de données s’appuient sur les manifestes des navires que tiennent les principaux transporteurs maritimes et sont accessibles en s’inscrivant à un service payant pour les exportations et/ou les importations à partir de, ou vers, un certain nombre de pays principaux fournisseurs et consommateurs de bois. Par exemple, l’EIA a utilisé les registres des marchandises importées aux États-Unis[ii] pour faire le lien entre du plancher en chêne russe illégal fourni par une société en Chine et la société américaine Lumber Liquidators [voir Étude de cas 9].

Il n’existe pas de base de données de ce type dans les autres gros pays consommateurs comme les pays membres de l’Union européenne, le Canada, l’Australie ou le Japon. Cependant ces pays disposent de bases de données des marchandises indiquant les destinataires dans ces pays des exportations de nombreux pays à haut risque, notamment la Russie, l’Ukraine, l’Indonésie, le Brésil, la Colombie, la Bolivie, l’Équateur et le Mexique. Bien que moins utiles pour établir des liens dans la chaîne d’approvisionnement, des bases de données de marchandises fournissant seulement les identités des sociétés exportatrices sont disponibles dans un certain nombre d’autres pays en Amérique latine.

Lorsqu’il n’existe pas de registre des marchandises dans un pays, il est encore possible d’obtenir des données agrégées sur les importations ou les exportations pour des sociétés données sur des durées données. En Chine, par exemple, il est possible de déterminer quelles sociétés a importé quelle quantité d’une certain catégorie de produits du bois (telle que définie par les codes détaillés des services de douane) à partir d’un pays fournisseur donné, sur une certaine période de temps. Au Royaume-Uni, le gouvernement publie des listes de sociétés ayant importé des produits sous un code des douanes donné pour un mois donné, mais il ne fournit pas une ventilation par pays d’origine.

Les bases de données de marchandises présentent souvent le défaut de ne pas fournir l’identité du vendeur ou de l’acheteur, ou de la dissimuler souvent derrière le nom des entreprises de transport de fret ou les entreprises de logistique. Dans ces cas, il est important d’examiner d’autres informations contenues dans la base de données des marchandises, telles que la description détaillée de la marchandise ou les informations concernant les marquages, qui peuvent contenir le nom de l’acheteur ou du fournisseur, ou bien encore des codes ou abréviations qui donnent leur identité [voir Identifier les fournisseurs en utilisant les codes des programmes de certification]. Dans le cas de Lumber Liquidators, par exemple, ni le nom de l’expéditeur, ni le nom du destinataire ne figurait dans les champs concernés du registre de marchandises, mais les informations figuraient néanmoins dans la description du produit [voir Étude de cas 9].

Il faut aussi être prudent dans l’utilisation de ces bases de données. Comme les informations proviennent habituellement de documents différents de ceux qui sont remis officiellement aux services des douanes, il est fréquent que des informations incorrectes y figurent, notamment s’agissant des codes des douanes ou du pays d’origine.

L’obtention d’informations en utilisant des approches sous couvert

Les méthodes sous couvert à distance décrites dans la section 9 ci-dessus peuvent être utilisées pour tenter de trouver des informations sur leurs clients étrangers directement auprès des sociétés d’exportation. Quand les fournisseurs sont réticents à donner le nom des clients aux enquêteurs qui se font passer pour des acheteurs potentiels, il peut être plus fructueux de se faire passer pour un journaliste ou une chercheur universitaire. Des informations supplémentaires peuvent être obtenues par l’observation directe. Bien que les meilleures occasions d’observation sont les visites de sociétés sous couvert (qui sont déconseillées sans formation spécifique), si les enquêteurs connaissent la localisation du fournisseur [voir Dresserle profil d’une société] il est peut-être possible de voir de l’extérieur, le bois et les produits dérivés dans la cour de la société. Ces produits présentent souvent des marquages qui peuvent fournir des pistes sur l’identité des acheteurs étrangers.

Commencer à partir de la destination

Les chances sont faibles de parvenir à faire le lien entre un produit et une source illégale donnée quand on travaille à partir de la fin de la chaîne d’approvisionnement. Cependant, même si l’origine du bois ne peut être identifiée de façon concluante, on peut obtenir des résultats intéressants. Il est possible, par exemple, d’encourager une société à ne plus se fournir auprès d’une source donnée s’il est possible de démontrer qu’un produit provient d’une source inconnue de risque élevé. Surtout, s’il est possible de démontrer que les déclarations de l’acheteur concernant l’origine du produit sont fausses.

Dans l’UE, de telles preuves sont particulièrement puissantes car elles pourraient être utilisées pour déclencher des sanctions en vertu de l’obligation d’exercer une diligence raisonnable selon le RBUE. Si une société ne connait pas l’origine du bois ou a même été dupée, alors le risque d’infraction n’a pas été correctement atténué.

L’identification des détaillants de produits à haut risque et l’obtention des informations sur l’origine du bois

Dans une enquête qui commence à la fin de la chaîne d’approvisionnement, la première étape est de limiter les recherches à un produit du bois présentant un risque d’illégalité élevé. Le choix de produit dépendra de l’analyse du risque, qui prend en compte des facteurs tels que le niveau de légalité dans le pays et les essences utilisées. Les essences de bois tropicaux, par exemple, présentent généralement un risque élevé et sont utilisées typiquement dans un nombre limité de produits du bois. Les données du commerce bilatéral qui sont accessibles au public (sur UN COMTRADE[iii] ou Eurostat[iv]) peuvent être analysées pour définir les produits pouvant faire l’objet d’une attention particulière, notamment si la ventilation de ces données par type de produit permet de distinguer les produits à haut risque de ceux de moindre risque [voir L’utilisationdes données du commerce]

Une fois qu’un produit à haut risque est identifié, l’étape suivante est d’identifier les principales sociétés qui commercialisent ce produit dans le pays consommateur concerné. Là où il existe des registres de marchandises pour les exportations vers ce pays ou pour les importations en provenance de ce pays, ces derniers constituent un bon point de départ [voir L’obtention des informations à partir des registres de marchandises]. L’examen des registres d’adhésion aux associations d’entreprises en est un autre. Les recherches sur Internet peuvent également être fructueuses [voir : Lessources d’information en ligne].

Une fois que la liste des sociétés a été établie, d’autres informations sur les produits vendus ou commercialisés peuvent être obtenues sur les sites Internet et plaquettes des sociétés. Lorsque toutes les informations publiques ont été examinées, il est possible de contacter directement la société, sous couvert en se faisant passer pour un acheteur potentiel cherchant à être rassuré sur l’origine du produit, ou ouvertement. Si les seules informations disponibles portent sur l’étape suivante en amont de la chaîne d’approvisionnement, alors les mêmes questions peuvent être posées à la société.

En plus de l’examen des informations accessibles au public et des contacts avec les sociétés concernées, l’examen des marquages sur les produits ou les emballages au cours des visites chez les détaillants, dans les parcs à bois ou les dépôts de distribution peut également révéler des informations sur le fournisseur. Ces investigations requièrent une certain connaissance des marquages utilisés dans les pays d’origine [voir L’identification des fournisseurs grâce aux codes de certification et Lemarquages des grumes ] et des preuves d’infractions dans ces pays.

Les marquages sur les produits et les emballages peuvent également fournir des informations sur les autres sociétés intervenant aux différentes étapes de la chaîne d’approvisionnement, autres que la récolte.  Dans certains cas, ils peuvent indiquer le nom des fournisseurs, des fabricants, des importateurs ou des détaillants. Mais même quand ce n’est pas le cas, les marquages peuvent donner des indices. La plupart des principaux fournisseurs, acheteurs ou négociants de bois utilise également un logo, qui peut être peint sur les grumes, le bois de sciage ou le contreplaqué même si le nom complet n’est pas indiqué. Les abréviations et initiales des fournisseurs ou des acheteurs peuvent également y figurer, parfois dans le code d’une cargaison donnée. Les codes utilisés sur les certificats délivrés à un fournisseur garantissant la qualité, l’hygiène et la sécurité ou la durabilité d’un produit peuvent également s’y trouver et être utilisés pour identifier le fournisseur [voir Identifier les fournisseurs grâce aux codes utilisés par les programmes de certification].

Les preuves données par le bois lui-même

Des informations peuvent être obtenues en étudiant les produits du bois eux-mêmes, grâce à des techniques plus ou moins complexes [voir Les techniques pour identifier les essences et l’origine géographique]. Il s’agit d’un nouveau domaine, limité à l’heure actuelle à des utilisations très spécifiques mais dont le potentiel est considérable.

Généralement, ces techniques se limitent à déterminer si un produit dérivé du bois comporte une essence de bois donnée. Elles utilisent l’anatomie du bois et l’analyse de l’ADN et des fibres et peuvent être utilisées pour démontrer qu’un produit n’est pas ce qu’un vendeur prétend qu’il est. Cela pourrait en soi conduire à une action répressive (pour fausse déclaration en vertu de la loi Lacey ou pour violations des provisions concernant la diligence raisonnée du RBUE) ou encourager un acheteur à changer de fournisseur pour abandonner une source à haut risque et potentiellement illégale. Au Royaume-Uni, par exemple, l’agence responsable du RBUE a pu démontrer le manque de diligence raisonnable d’importateurs de contreplaqué chinois en bois dur, en utilisant l’anatomie du bois. Sur 70% des échantillons étudiés le placage extérieur était d’une essence différente de celle déclarée.[v]

Parfois, les informations sur les essences de bois peuvent aller plus loin et aider à prouver des infractions. Elles peuvent par exemple prouver qu’un produit est fait à partir d’une essence protégées ou dont l’utilisation est réglementée. En 2010, l’ONG américaine World Resource Institute a procédé à l’analyse des fibres dans des produits en papier provenant d’Indonésie, en vente aux États-Unis. Elle y a trouvé des fibres de bois de ramin, une essence dont l’exploitation est interdite en Indonésie et dont le commerce international est règlementé par la CITES.[vi] Un autre exemple est celui qui a conduit à la plus grosse saisie de bois illégal au Royaume-Uni en 2002, lorsque des agents en douane ont utilisé l’anatomie du bois pour montrer qu’une grosse cargaison de moulures de cadres en ramin provenant d’Indonésie avait été importée sous un faux nom d’essence et sans les documents requis par la CITES.[vii] La falsification des essences dans les déclarations d’importation de produits végétaux requises par la loi Lacey est un délit aux États-Unis, même si rien ne prouve que le bois soit d’origine illégale.

Dans une certaine mesure, l’examen des essences peut également fournir des informations utiles sur les origines géographiques. Par exemple, il peut être possible de démontrer qu’une essence ne peut pas venir du pays d’origine déclaré par la société car il ne fait pas partie de son aire naturelle de répartition. L’ADN ainsi qu’une autre technologie, l’analyse d’isotopes stables, peuvent aller plus loin et fournir des informations sur l’origine géographique d’un échantillon d’une essence donnée. Par exemple, l’analyse d’isotopes stables a été utilisée par l’EIA[viii] et le WWF[ix] pour démontrer que les produits en chêne en vente aux États-Unis et au Royaume-Uni étaient confectionnés en chêne d’Extrême-Orient russe, une région où le risque d’infractions est particulièrement élevé.

L’utilité de ces techniques pour déterminer l’origine géographique du bois reste cependant très limitée par l’absence de bases de données de référence suffisamment détaillées pour des échantillons d’origine connues. À l’heure actuelle, les informations disponibles peuvent au mieux permettre de déterminer le pays d’origine pour le chêne et un certain nombre d’autres essences tropicales commerciales d’Afrique, d’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine. Uniquement dans certaines circonstances rares la détermination du pays d’origine peut-elle indiquer que la récolte est illégale mais elle peut permettre d’invalider des déclarations et démontrer le manque de diligence raisonnable. Elle peut aussi être utilisée pour prouver qu’il existe un commerce illégal, tel que la falsification des déclarations prévues par la loi Lacey.

[i] Même si les sociétés en aval sont tenues de tenir des registres.

[ii] www.piers.comwww.panjiva.com

[iii] UN COMTRADE – comtrade.un.org

[iv] http://ec.europa.eu/eurostat/data/database

[v] Pillet, N. & Sawyer, M. ‘EUTR:Plywood imported from China’, National Measurement Office, February 2015

[vi] Hanson, C. & Nogueron, R., ‘Risk Free? Paper and the Lacey Act’, WRI, 15th Nov 2010, http://www.wri.org/blog/2010/11/risk-free-paper-and-lacey-act

[vii] EIA/Telapak, ‘The Ramin Racket: The Role of CITES in Curbing Illegal Timber Trade’, September 2004, https://eia-international.org/wp-content/uploads/The-Ramin-Racket-Low-Res.pdf

[viii] EIA, ‘Liquidating the Forests: Hardwood Flooring, Organized Crime, and the World’s Last Siberian Tigers, 2013, http://eia-global.org/images/uploads/EIA_Liquidating_Report__Edits_1.pdf

[ix] WWF, Do Timber Products in the UK Stack Up?, 2015, Pages 12-14 http://assets.wwf.org.uk/downloads/timber_testing_report_may15.pdf

11. L’évaluation des preuves

L’objectif principal de ce guide et du type d’enquêtes décrites ici est d’aider à améliorer l’application des lois forestières. Cependant, toutes les enquêtes ne mènent pas toujours à des cas passibles de poursuites. Les enquêteurs cherchent à réunir un ensemble de preuves suffisamment solides et détaillées pour entraîner des poursuites en application de la loi Lacey ou du RBUE, mais ils le font parfois en vain.

Dans ce cas, des preuves bien étayées et bien présentées peuvent toutefois aider la mise en œuvre et l’amélioration de la loi et influencer le comportement du secteur privé de plusieurs façons. Les options disponibles pour faire appliquer la loi ou faire des revendications dépendront du type et de la solidité des preuves rassemblées au cours de l’enquête.

Au cours de leurs recherches, les enquêteurs devraient se demander systématiquement s’ils ont atteint le seuil où les résultats de leurs recherches devraient être présentées pour être rendus publics, ou présentés aux organismes chargés de faire appliquer les lois, ou les deux. Il peut être contre-productif de révéler des preuves trop tôt car les preuves peuvent être incomplètes ou insuffisantes pour induire un changement et cela peut diminuer les chances de pouvoir poursuivre l’enquête. De plus, aux États-Unis, il n’est pas légalement possible de fournir des informations supplémentaires pour un dossier qui a déjà été soumis aux autorités. Il est donc essentiel de rassembler toutes les preuves possibles avant de soumettre le dossier. Mais il peut également être contre-productif de garder des preuves trop longtemps car la validité des preuves diminue souvent avec le temps et les méthodes et chaînes d’approvisionnement changent.

Il est essentiel d’évaluer constamment l’état de l’enquête en envisageant les options disponibles si le dossier est révélé maintenant et en se demandant si des investigations supplémentaires amélioreront ces options. Les principales options à prendre en considération au cours de l’évaluation des résultats d’une enquête sont décrites ci-dessous.

L’application de la loi

Si la preuve existe qu’une chaîne d’approvisionnement présente des liens entre la source du bois et les États-Unis ou l’UE, avec des éléments de preuve d’illégalité, l’information peut être transmise aux organismes chargés de faire appliquer la loi dans la juridiction concernée. L’information n’a pas besoin d’être complète car ces organismes peuvent mener leurs propres investigations quand elles disposent d’un dossier crédible. Dans l’UE, la composante diligence raisonnable du RBUE introduit la possibilité de réclamer une action même si l’origine du produit n’est pas claire. En même temps, plus les éléments de preuves sont complets, plus grande est la probabilité que des actions puissent être et soient prises.

Les révélations sur les chaînes d’approvisionnement à haut-risque

Lorsque des preuves existent qu’une proportion importante de bois provenant d’une source donnée est illégale, ces informations peuvent être présentées aux organismes chargés de faire appliquer la loi et révélées au public, même si aucun lien précis n’a été fait avec une société opérant sur le marché final. Ceci peut aider ces organismes dans leur surveillance des sociétés opérant dans leur juridiction en les encourageant à surveiller particulièrement les produits provenant de cette source. Si ces informations sont révélées au public, soit en passant par les médias soit en les faisant circuler auprès d’un public ciblé, elles peuvent avoir un « effet dissuasif » sur les importations de cette origine. Les sociétés au sein de l’UE doivent pratiquer la diligence raisonnable sur leurs importations, tandis que les sociétés aux États-Unis sont soumises à des peines aggravées si elles n’appliquent pas le principe de précaution. En s’assurant qu’elles soient informées correctement, on les encourage à être plus prudentes avec les sources à haut-risque.

Les révélations au-delà des lois portant sur le bois

Souvent, les enquêtes révèlent des preuves de méfaits sortant du cadre des lois sur l’importation du bois. Le RBUE et la loi Lacey s’appuient sur les lois des pays d’origine. Si les lois des pays d’origine n’ interdisent pas certains actes, les lois dans les pays clients ne peuvent pas s’appliquer. Cela est particulièrement important pour ce qui est des droits fonciers et des droits de l’homme. Si certains états n’ont pas reconnu officiellement les droits coutumiers des communautés autochtones des forêts, le RBUE et la loi Lacey ne peuvent pas être utilisés pour lancer des poursuites contre l’extraction de ressources dans ces forêts. Ceci ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a aucun intérêt à révéler ces informations. Si un lien, général ou spécifique, peut être établi avec l’UE ou les États-Unis dans la chaîne d’approvisionnement, le révéler peut changer le comportement du secteur privé. Les sociétés opérant dans l’UE et aux États-Unis sont conscientes du risque pour leur réputation et du risque qu’elles encourent si elles sont associées à des violations des droits de l’homme ou la destruction de la biodiversité.

Les révélations de chaîne d’approvisionnement sur des marchés non réglementés

L’UE et les États-Unis comptent pour une proportion importante du commerce mondial du bois, mais d’autres pays importent aussi des volumes importants. Ces États, notamment le Japon, la Chine et l’Inde, représentent une proportion croissante du commerce illégal du bois et ne disposent pas de lois comme le RBUE ou la loi Lacey. Si des enquêtes mènent à ces pays, et ce sera souvent le cas, le RBUE et la loi Lacey pourront s’appliquer si le bois est ensuite réexporté vers l’UE ou les États-Unis. Il est cependant très difficile d’établir ces liens. Néanmoins, la loi Lacey et le RBUE ont été adopté sous la pression publique et, de manière cruciale, grâce aux preuves de l’ampleur du commerce de bois illégal. Des pressions de plus en plus fortes sont exercées sur la Chine et le Japon pour adopter des législations similaires. Les révélations sur les chaînes d’approvisionnement illégales vers ces pays peuvent soutenir ces efforts. Dans ces cas, il est utile de révéler le dossier publiquement tout en cherchant à fournir officiellement les preuves aux agences gouvernementales concernées dans le pays d’origine et dans le pays du marché.

Les enquêtes plus approfondies ou plus étendues

Au cours d’une enquête, il peut arriver un moment où il s’avère impossible d’apporter les preuves nécessaires pour monter un dossier contre une cible donnée ou même appuyer une hypothèse. Il est important d’être méticuleux et de ne pas abandonner trop tôt une piste d’investigation. De nouvelles avancées peuvent être réalisées en creusant plus profond dans les détails, en raffinant la cible (une zone géographique ou une société) ou en élargissant l’enquête à une zone ou une chaîne d’approvisionnement plus large. Ce processus peut donner un nouvel aperçu de la situation et permettre aux enquêteurs de revenir vers leur cible initiale avec des idées nouvelles.

L’impasse

Toutes les enquêtes n’aboutiront pas à l’obtention de preuves recevables ou d’informations qui peuvent avoir un effet dissuasif sur la chaîne d’approvisionnement. Par contre, les enquêtes à venir pourront s’appuyer sur ces enquêtes, grâce auxquelles les enquêteurs comprennent mieux qui sont les acteurs impliqués et peuvent mieux mener leurs campagnes. Si la décision est prise d’interrompre une enquête sans prendre d’autres mesures, quelques principes simples devraient être suivis pour s’assurer que le travail n’est pas perdu. Tous les éléments de preuve rassemblés au cours de l’enquête, qu’il s’agisse de données numérisées ou sur papier, devraient être classés ou entreposés de façon à pouvoir être facilement retrouvés. Un document unique devrait être produit pour résumer les buts de l’enquête, les progrès réalisés et les conclusions. Le document devrait faire référence aux preuves et indiquer comment les trouver. Il faut considérer que même si l’enquête est dans une impasse, elle pourrait être ravivée en l’espace de quelques semaines seulement, si de nouvelles informations deviennent disponibles. Dans ce cas, que ce soit dans quelques semaines ou dans quelques mois, il sera inestimable d’avoir accès aux informations de l’enquête et de les comprendre.

Prochain: Etudes de cas

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